L'évaporation du trafic, c'est quoi?

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Mise à jour le 06/10/2016

Berges de Seine
Frédéric Héran, maître de conférence en économie des déplacements nous explique ce phénomène.
On en entend beaucoup parler depuis quelque temps, mais au juste qu'est-ce que l'évaporation du trafic? Quand une route est fermée à la circulation, une partie de la circulation s’évaporerait… Frédéric Héran, maître de conférence en économie des déplacements nous explique ce phénomène.
Mis en lumière depuis plusieurs années par des études scientifiques portant sur de grandes mégapoles mondiales, le niveau du trafic automobile en milieu urbain dépend davantage des aménagements d'infrastructures routières que des nécessités de déplacements en voiture des particuliers.
Frédéric Héran, vous êtes l'auteur d'une histoire des déplacements urbains en Europe de 1817 à 2050 et avez notamment étudié les mutations de la voirie et des espaces viaires à Paris en les replaçant dans une perspective historique. Pouvez-vous nous expliquer le phénomène d'évaporation du trafic lié à des modifications d'aménagements de circulation en ville?
Frédéric Héran: Il faut effectivement avoir un peu de mémoire et se souvenir que les changements affectant la voirie et la circulation dans la capitale ne datent pas d'hier.

En 1990, on s'attaque aux problèmes de la congestion du trafic parisien en créant les axes rouges afin de fluidifier la circulation.

Puis en 1996, on instaure les "zones 30" pour "tranquilliser" certains secteurs fortement résidentiels. C'est sous cette même mandature que fleurissent aussi, par centaines, les fameux potelets sur les trottoirs afin d'empêcher le stationnement des véhicules motorisés et d'offrir aux piétons une indispensable reconquête de ces espaces.
Journée sans voiture 2016 sur les Berges de Seine
Toutes ces transformations qui visaient à réduire l'insécurité routière et à redonner un espace à tous les usagers, se sont chaque fois traduites par une évaporation de trafic. Cette expression, très en vogue actuellement, ne rend pas bien compte du phénomène car il serait plus juste de parler de "trafic déduit". C'est-à-dire qu'une part plus ou moins marginale des automobilistes finit, à terme, par adapter son comportement aux changements d'aménagement des voies de circulation urbaine, soit en organisant autrement ses déplacements en voiture - en effectuant des trajets en voiture moins longs, par exemple - soit en renonçant purement et simplement à ce mode de déplacement particulier. Certaines personnes peuvent même se décider à déménager! On constate que cette part d'automobilistes qui participent au phénomène d'évaporation est plus ou moins équivalente à 10% de l'ensemble du trafic pour une voie de circulation donnée.
Ce phénomène est-il à l'œuvre dans le cas de la fermeture des voies sur berges que ce soit sur la rive gauche depuis 2013, ou maintenant sur la rive droite?
F.H : Evidemment! Mais ce qu'il faut dire tout d'abord c'est qu'à Paris, la part modale de la voiture particulière - c'est-à-dire si l'on considère l'ensemble des déplacements (à pied, en vélo, en transports en commun, en véhicule personnel motorisé…) la part revenant aux déplacements effectués en voiture - a baissé de 28% depuis 2001. Cette forte diminution résulte des modifications importantes apportées à la voirie parisienne au début des années 2000 et de manière constante durant la dernière décennie: couloirs de bus protégés, création puis multiplication des pistes cyclables, instauration de "quartiers verts", élargissement de trottoirs et réduction de la place dédiée à l'automobile sur certains boulevards…

La plupart des banlieusards ne viennent pas à Paris en voiture

Frédéric Héran
Maître de conférence - Université Lille 1
Concernant les "autoroutes urbaines" des berges de Seine, dont il faut rappeler qu'elles sont l'héritage empoisonné d'une conception urbanistique consistant à vouloir adapter la ville à la voiture, il faut tout d'abord rappeler que la plupart des banlieusards ne viennent pas à Paris en voiture, contrairement à ce qu'affirment certains adversaires du projet de piétonnisation.

Par ailleurs, la fermeture de la rive gauche des berges de Seine, en 2013, a livré quelques enseignements : les hypothèses de hausse du trafic ont été démenties par les faits. Evalué par les études à sept minutes, l’allongement du temps de parcours entre la gare d’Austerlitz et le pont Bir-Hakeim n’excède pas, en réalité, deux à trois minutes. Là encore, l’expérience montre que les perturbations liées à la fermeture d’un axe routier n’ont qu’un temps et sont loin d’être aussi alarmantes que les prédictions.
Journée sans voiture 2016
On reproche également le manque de places de stationnement automobile à la périphérie de Paris afin d'une part, de compenser les réductions d'espaces de circulation dédiées à la voiture et d'autre part, de permettre aux automobilistes venant de banlieue et devant se rendre à Paris d'utiliser des modes de déplacements différents une fois qu'ils sont intra-muros. Qu'en pensez-vous?

Les parkings sont de véritables "aspirateurs à voitures"

Frédéric Héran
Maître de conférence - Université Lille 1
F.H : J'entends bien ce reproche et les arguments de ceux qui voudraient voir s'ériger de gigantesques parkings aux portes de Paris. Le problème c'est que les parcs de stationnement automobile sont de véritables "aspirateurs à voiture". Créer un parking revient à produire symétriquement le phénomène inverse de celui dont on parle dans le cas de fermeture de voies de circulation automobile : plutôt que du trafic déduit - évaporé - on produit du trafic induit. On crée les conditions de changements de comportements contraires à ceux décrits précédemment. Prenons l'exemple d'une entreprise qui, soudain, permet à ses employés de venir en voiture en mettant à leur disposition des places de stationnement. Et bien, vous pouvez être sûr que des gens qui ne se rendaient pas en voiture à leur travail, vont profiter de l'opportunité… Il se peut même que certains qui ne possédaient pas de véhicule en acquièrent!
Frédéric Héran a publié "Le retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains en Europe de 1817 à 2050" - Editions La Découverte - 2014.