À la Cité internationale des arts, rencontres et créations tous azimuts

Reportage

Mise à jour le 04/09/2019

Au cœur de Paris, en bord de Seine, sont accueillis chaque année des centaines d'artistes venus des quatre coins du monde. En résidence à la Cité internationale des arts, ils y travaillent leur projet artistique dans des domaines aussi variés que les arts visuels, la musique, l'écriture ou le spectacle vivant. Rencontre avec Emmanuel Wüthrich, plasticien suisse.
La Cité Internationale des arts, ce long bâtiment au 18, rue de l'hôtel de ville (4e), est un véritable vivier de talents cosmopolites. Ici, sont logés, pour un temps donné (de 2 mois à 1 an) et un projet identifié, des artistes français ou étrangers. Depuis sa création en 1965, plus de 25 000 artistes y ont été accueillis. En 2018, plus de 1 200 artistes originaires de 90 pays dans plus de 300 ateliers-logements sont passés par ici, grâce aux partenariats avec 135 organismes de 52 pays, dont la France.
70% des studios sont attribués par l’intermédiaire de programmes étrangers. La Cité internationale des arts est en effet gérée conjointement par des partenaires appelés souscripteurs : une cinquantaine de gouvernements, institutions et associations de pays étrangers, l’Etat français (ministères de la Culture et de la Communication et des Affaires étrangères), la Ville de Paris, ainsi qu’une vingtaine d’institutions, associations et villes partenaires françaises. En contrepartie, les souscripteurs bénéficient d’un droit de présentation d’un ou plusieurs artistes à la Cité internationale des arts.

326 ateliers mis à disposition

Ainsi Emmanuel Wüthrich, artiste plasticien suisse, a été sélectionné par une commission du ministère de la Culture et le canton du Jura (Suisse) qui lui a attribué bourse et atelier à la Cité internationale des arts de Paris, pour 6 mois. Mais les modalités de candidature ainsi que leurs modes de sélection et d’accompagnement varient selon les souscripteurs. "J’ai postulé et j'ai eu la chance d’être retenu. En plus de l’atelier, mon canton m’octroie une somme mensuelle couvrant mes frais divers ici. Je me considère largement privilégié, même si j’ai renoncé à mon salaire - je suis enseignant d’arts plastiques à temps partiel - pour prendre un congé sabbatique de 6 mois."
Originaire de Porrentruy (Suisse), Emmanuel Wüthrich enseigne depuis bientôt 25 ans les arts plastiques dans son pays. Formé à la Kunstgewerbeschule à Bâle (école d'arts appliqués), il développe une démarche artistique personnelle, notamment à travers la photographie et le dessin. À Paris, il a la possibilité de travailler sur le thème de la migration, avec comme point de départ le tableau de Théodore Géricault, "Le Radeau de la Méduse", exposé au Louvre.
Le voici donc pour 6 mois à la Cité internationale des arts, entouré d'une multitude d'autres artistes de tous pays. Il dispose d'un des 326 ateliers, répartis sur deux sites : dans le quartier du Marais et dans celui de Montmartre. Il raconte : "L’atelier-appartement (un petit studio confortable) est équipé simplement, mais répond à tous mes besoins. Si j’en avais la nécessité, je pourrais profiter d’un atelier de gravure ou d’un four à céramique. Les musiciens, comédiens ou danseurs peuvent avoir accès à des studios également."

Des rencontres étonnantes et enrichissantes

Alors pourquoi ce choix d'être ici ? "D’abord pour me concentrer complètement sur mon activité artistique. C’est une chance unique qui se présentait. Cela me permet de prolonger mon travail artistique sur la question migratoire, et en particulier sur les drames en Méditerranée, une problématique qui me préoccupe depuis de longues années. J’ai pu, dans ce cadre-là, prendre des contacts avec l’association Aurore qui tient dans le 14e arrondissement un centre d’accueil de jour pour des requérants d’asile." Chaque lundi matin, Emmanuel a même proposé d'y animer un atelier de peinture et calligraphie. Une réelle immersion dans la ville avec "ces survivants qui se racontent et font preuve d’une résilience exceptionnelle".
En parallèle, le fait d'être dans cette résidence lui donne l’accès aux musées de la ville, aux galeries, à la vie associative. Cependant, pour lui, le plus marquant, ce sont les rencontres aussi étonnantes qu'enrichissantes et les partages qu'il peut connaître au sein de la Cité.
Il a ainsi rencontré une céramiste de Bangkok qui a représenté la Thaïlande à la Biennale de Venise, une Italienne qui donne des interprétations au piano de pièces contemporaines, un couple mexicain, elle curatrice et lui peintre et performeur etc . "J'ai aussi participé à une Jam session avec un trompettiste new-yorkais, un compositeur de musique électronique bulgare et un peintre parisien qui prend occasionnellement sa guitare. J'ai donné un coup de main pour l'accrochage des Traversées du Marais à une peintre de Serbie ou un photographe zurichois … C’est tout cela, la Cité : des rencontres improbables qui nourrissent et stimulent la créativité et se prolongent sur les quais de Seine par de longues soirées de débats joyeux !"
Ainsi, comme Emmanuel, les artistes peuvent être être choisis par le réseau des 135 partenaires – dits « souscripteurs ». Mais les artistes peuvent aussi adresser leur candidature à la Cité internationale des arts qui organise des commissions, composées de commissaires indépendants, de responsables de centres d’art, de FRAC, d’écoles d’art, de conservatoires, ainsi que des représentants de la Ville de Paris, du ministère de la Culture et de l’Institut français. Ces commissions attribuent des ateliers de résidence en appréciant la dimension artistique du projet et les motivations du candidat.
Les artistes peuvent aussi résider par le biais de programmes de résidences ciblés. Ces programmes sont créés en collaboration avec des institutions identifiées et prescriptrices, qui soutiennent les talents émergents de la scène artistique internationale par l’attribution de bourses.

A l'origine

L’idée du lieu est née de la volonté d’Eero Snellman, un artiste finlandais, lors de l’exposition universelle de 1937. Le projet fût ensuite repris et développé par Félix Bruneau après la Seconde Guerre mondiale grâce au soutien du ministère de la Culture, de la Ville et de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris.
En juillet 1965, le bâtiment, édifié par les architectes Olivier-Clément Cacoub et Paul Tournon, accueillait ses premiers résidents : cinq peintres et deux musiciens. Un an plus tard, 136 ateliers étaient occupés par des artistes originaires de 37 pays différents. D’autres bâtiments ont suivi sur les quelque 20 000 m2 de terrains loués en 1950 par la Ville de Paris par un bail emphytéotique (99 ans) à l’association qui préfigurait la Fondation qui sera reconnue d’utilité publique en 1957.
Outre les ateliers-logements, la Cité comprend quelques ateliers collectifs (gravure et sérigraphie, céramique, photographie), des studios de répétition (musique) équipés de pianos, ainsi qu’un auditorium de 128 places doté d’un orgue. Elle met aussi en œuvre une programmation culturelle pluridisciplinaire, dans ses différents espaces : le Corridor, l’Auditorium, la Petite Galerie ou encore à travers des ateliers « portes-ouvertes ».
La Cité accompagne également les projets « hors les murs » des résidents et participe à leur mise en relation avec des professionnels. Les résidents peuvent également bénéficier de cours de français, travailler dans des ateliers collectifs (atelier gravure, sérigraphie) et utiliser un four à céramique. Les partenariats noués avec d’autres établissements parisiens et franciliens permettent également aux résidents de développer leurs pratiques « hors les murs ».
Ainsi dans cet immense atelier de créations du cœur de Paris, s'épanouit une riche communauté qu'il est d'ailleurs possible de rencontrer à l'occasion des portes ouvertes de leurs ateliers, en septembre dans le cadre du Festival les Traversées du Marais
Tout au long de l'année, il est aussi possible d'assister à des expositions, des concerts ou des rencontres.