« Cette crise est une opportunité de prendre en considération la réalité des déplacements »
Rencontre
Mise à jour le 15/05/2020
Sommaire
A l'heure du déconfinement progressif de la capitale, la Ville teste de nouvelles solutions de mobilité, telles des pistes cyclables transitoires le long des lignes de métro. Une occasion de redonner leur place aux piétons et aux vélos, pour le chercheur Sébastien Marrec.
Paris sort progressivement du confinement depuis le 11 mai. Et pose de nouveaux jalons pour les déplacements dans la capitale et sur la métropole avec la mise en place de nouvelles pistes cyclables, la fermeture de la rue de Rivoli à la circulation ou encore la création de rues piétonnes. Une opportunité pour « rééquilibrer l'espace public » au profit des piétons et des cyclistes, estime Sébastien Marrec, chercheur en aménagement et urbanisme à la Ville de Paris.
Le déconfinement a été entamé le 11 mai avec notamment le développement de pistes cyclables transitoires sur Paris et la petite couronne. D'où vient cette innovation ?
Ce phénomène n'est pas uniquement parisien, ni même français ou européen. Il s’inscrit dans une longue histoire de revalorisation de l’espace public comme d’un espace diversifié en matière d’usages, de fonctions, de mixité des publics, et comme socle intense de la vie sociale. Considérer la ville comme un laboratoire d’expérimentations, de droit à la réussite et à l’échec n’est pas une idée nouvelle, même si l’ampleur que le phénomène a pris ces dernières semaines est inédit et remarquable. La crise bouscule tous les champs de la société, l’urbanisme et les mobilités n’y échappent pas. Partout dans le monde, des villes s’inspirent des techniques de l’urbanisme tactique, mais celui-ci ne saurait se résumer à un simple réaménagement des rues en réduisant l’espace alloué à la voiture pour le donner aux piétons et aux cyclistes.
D'où vient l'urbanisme tactique ?
On peut faire remonter le concept d’urbanisme tactique aux années 1960. A l’époque, en Europe et surtout aux Etats-Unis, des urbanistes comme Jane Jacobs, Kevin Lynch, William Whyte ou Jan Gehl ont remis en cause l'urbanisme institutionnel fonctionnaliste et le rôle de planification et de décision des pouvoirs publics en matière d'aménagement. Ils ont mis en lumière l’importance à accorder à l’humain et aux interactions sociales dans l’espace public plutôt qu’à l’automobile et à l’ingénierie de voirie. Leurs propositions et leurs méthodes ont fait émerger une nouvelle façon d’appréhender l’espace public en donnant la priorité aux besoins et aux demandes des habitants plutôt qu’à l’ordre, à l’esthétique rationaliste ou l’efficacité des flux de circulation motorisée.
Quelles stratégies alternatives ont été mises en place?
Des stratégies alternatives à l’urbanisme institutionnel ont été mises en œuvre par de nombreuses villes occidentales, principalement aux Etats-Unis, mais également et Europe et en Amérique latine. En avril dernier, Bogota (Colombie) a testé plusieurs dizaines de kilomètres de pistes cyclables transitoires, prolongeant une tradition de fermetures temporaires de rues entamée dès les années 1990. En France, le phénomène concerne la quasi-totalité des métropoles, telles que Grenoble, Lille, Rennes, Nantes, Montpellier, Toulouse, Nice et aussi plusieurs villes petites et moyennes comme Le Mans et Angers.
Les élargissements de trottoirs, la création d’aménagements cyclables temporaires, la fermeture de rues aux automobilistes en transit sont conçus comme des aménagements réversibles et rapides à mettre en place. L'idée est de révéler le potentiel d'un espace pour d'autres usages que ceux liés à la voiture. Cet urbanisme d'adaptation va nous permettre de penser une façon de faire et de vivre la ville à la fois plus agile et plus résiliente pour les crises à venir.
Les élargissements de trottoirs, la création d’aménagements cyclables temporaires, la fermeture de rues aux automobilistes en transit sont conçus comme des aménagements réversibles et rapides à mettre en place. L'idée est de révéler le potentiel d'un espace pour d'autres usages que ceux liés à la voiture. Cet urbanisme d'adaptation va nous permettre de penser une façon de faire et de vivre la ville à la fois plus agile et plus résiliente pour les crises à venir.
Que peut apporter à plus long terme cette innovation sur Paris et la métropole ?
Jusqu’à il y a peu d’années encore, le système de déplacements de l’Île-de-France était comme un animal qui reposait sur trois jambes : la marche, les transports en commun et les modes motorisés individuels (la voiture et les deux-roues motorisés). Cet animal boitait, et continue de boiter, car il manque une quatrième jambe solide sur lequel le système aurait besoin de s’appuyer : le vélo.
Ce déséquilibre dans l’usage des modes se traduit toujours par des dysfonctionnements majeurs : l’espace alloué à la voiture, très dominant (avec les nuisances de toutes sortes que cela engendre) et une saturation croissante des transports en commun à l’heure de pointe, bus et tramways inclus. L'usage de la quatrième jambe, le vélo, est longtemps resté marginal y compris dans Paris, où quasiment plus personne ne pédalait à la fin des années 1980.
Ce déséquilibre dans l’usage des modes se traduit toujours par des dysfonctionnements majeurs : l’espace alloué à la voiture, très dominant (avec les nuisances de toutes sortes que cela engendre) et une saturation croissante des transports en commun à l’heure de pointe, bus et tramways inclus. L'usage de la quatrième jambe, le vélo, est longtemps resté marginal y compris dans Paris, où quasiment plus personne ne pédalait à la fin des années 1980.
Le vélo sera incontournable dans les modes de déplacement.
Chercheur en aménagement et urbanisme à la ville de paris
La pratique ne cesse de progresser depuis, elle a été multiplié par plus de 10. Avec cette crise sanitaire, le vélo s’avère incontournable pour favoriser au maximum son usage en alternative aux transports en commun et à la voiture, dont le retour n'est pas souhaitable, pour des raisons de pollution de l'air et d’encombrement de l’espace public. On se rend compte que le vélo sera incontournable dans les modes de déplacement dans un avenir plus seulement lointain, mais immédiat.
Désormais, le vélo répond à la fois à la nécessité de distanciation physique et à l'urgence climatique en contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. On compte pas moins 3,7 millions de vélos en Île-de-France. Ils restent peu utilisés et ne demandent pas mieux que de sortir du garage ou de la cave.
Un « système vélo » de plus en plus structurant va ainsi vraisemblablement se constituer plus vite que prévu, associant Paris, la Région Île-de-France, les départements, mais également les associations d’usagers, les ateliers d’auto-réparation et les vélo-écoles, les vélocistes [ndlr : les vendeurs de vélos et d'équipements vélos], les riverains… Notre système est ainsi amené à se rapprocher de celui d'autres grandes capitales européennes comme Berlin, Copenhague ou Amsterdam.
Cette période est-elle une opportunité de repenser la place des piétons et des circulations douces dans l'espace urbain parisien ?
Cette crise sanitaire est d’abord une opportunité de prendre en considération la réalité des déplacements dans Paris. Presque 65% des déplacements se font à pied dans la capitale et l'usage de la voiture représente désormais moins de 10% des trajets intramuros (et 5% des déplacements des Parisiens). Le vélo compte maintenant pour 5% des déplacements et c’est le mode dont l’usage augmente le plus, et le plus rapidement, à tel point que le nombre de déplacements à vélo devrait dépasser les déplacements en voiture dans les toutes prochaines années, si ce n’est les prochains mois, étant donné le contexte.
Par ailleurs, le taux d’équipement en voiture des ménages parisiens connaît lui aussi une tendance à la baisse, passant de 45 à 35 % en dix ans. On constate les mêmes tendances générales dans toute l’Île-de-France, où l’usage du vélo a progressé de 30 % également en une décennie, et c’est particulièrement frappant dans les départements de petite couronne.
Or, pour le moment, les aménagements et la distribution de l’espace sont loin de répondre à cette réalité, en particulier en banlieue, même si la transformation de l’espace public s’accélère. Environ 50 % de l’espace reste alloué à la voiture à Paris, souvent sur de grands boulevards qui n’ont pas été requalifiés depuis l’après-guerre, au moment où leurs trottoirs ont été rétrécis pour faire de la place à l’automobile.
Par ailleurs, le taux d’équipement en voiture des ménages parisiens connaît lui aussi une tendance à la baisse, passant de 45 à 35 % en dix ans. On constate les mêmes tendances générales dans toute l’Île-de-France, où l’usage du vélo a progressé de 30 % également en une décennie, et c’est particulièrement frappant dans les départements de petite couronne.
Or, pour le moment, les aménagements et la distribution de l’espace sont loin de répondre à cette réalité, en particulier en banlieue, même si la transformation de l’espace public s’accélère. Environ 50 % de l’espace reste alloué à la voiture à Paris, souvent sur de grands boulevards qui n’ont pas été requalifiés depuis l’après-guerre, au moment où leurs trottoirs ont été rétrécis pour faire de la place à l’automobile.
Il y a aussi d’innombrables rues étroites, y compris très commerçantes, dont l’espace est devenu stérile par l’omniprésence du stationnement et/ou les volumes de circulation.
Le rééquilibrage de ces espaces au détriment de la voiture facilite les déplacements des plus vulnérables : les personnes âgées, les enfants et les personnes en situation de handicap. Concernant le vélo, son potentiel est considérable dans une ville aussi dense et mixte en fonctions que Paris, où la majorité des déplacements font moins de 3km. Alors qu’il était un véhicule de niche il y a vingt ans, son image change à grande vitesse et son usage s’ouvre, peu à peu, à des publics de plus en plus diversifiés comme les personnes âgées, les personnes actives habitant en seconde couronne. Ou les jeunes ménages avec enfants.
Le rééquilibrage de ces espaces au détriment de la voiture facilite les déplacements des plus vulnérables : les personnes âgées, les enfants et les personnes en situation de handicap. Concernant le vélo, son potentiel est considérable dans une ville aussi dense et mixte en fonctions que Paris, où la majorité des déplacements font moins de 3km. Alors qu’il était un véhicule de niche il y a vingt ans, son image change à grande vitesse et son usage s’ouvre, peu à peu, à des publics de plus en plus diversifiés comme les personnes âgées, les personnes actives habitant en seconde couronne. Ou les jeunes ménages avec enfants.
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