Dr Denis Mukwege : « Les violences sexuelles sont partout, même en temps de paix »
Rencontre
Mise à jour le 14/10/2021
Sommaire
Le gynécologue Denis Mukwege était reçu le 14 octobre 2021 par le Conseil de Paris. Depuis vingt ans, ce médecin congolais soigne les femmes victimes de viols et de mutilations sexuelles en République démocratique du Congo. Un combat qui lui a valu le prix Nobel de la paix en 2018. Nous republions cet entretien réalisé il y a deux ans de celui qui est citoyen d'honneur de la Ville de Paris depuis 2020.
Samedi 30 novembre 2019, le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix 2018, était reçu dans les salons de l’Hôtel de Ville pour une conférence. Un « beau pays » où il a suivi sa formation de gynécologue-obstétricien à l’Université d’Angers en 1984. En République démocratique du Congo (RDC), un pays déchiré par les conflits où le viol est utilisé comme arme de guerre, le Dr Mukwege soigne et « répare » les corps de milliers de femmes depuis plus de vingt ans dans son hôpital de Panzi, à Bukavu, situé dans la province du Sud-Kivu à l’est de la RDC. Malgré les risques encourus, le docteur Mukwege a fait connaître au monde cette barbarie et dénoncé l’impunité dont jouissent les coupables.
Quelle est la situation dénoncée en République démocratique du Congo ?
La guerre porte sur le contrôle des ressources naturelles, spécialement un minerai, le coltan. Il permet d’extraire un métal, le tantale, utilisé dans nos téléphones mobiles, nos laptops et dans tous nos gadgets électroniques.
La guerre, au lieu de se faire sur le champ de bataille, passe sur le corps des femmes. Cela entraîne une destruction totale du tissu social et une baisse démographique. La fertilité des femmes est également détruite. Ce qui détruit l’économie, car, dans les pays africains, d’une certaine façon, les femmes portent l’économie.
En quoi consiste votre action auprès des femmes violées ?
Le processus de guérison s’appuie sur quatre piliers. Dans un premier temps, le médical prend en charge l’aspect physique. Dans un second temps, il faut proposer une aide psychologique car les victimes sont profondément traumatisées. Lorsque psychologiquement, elles ont récupéré, il y a tout le problème de rejet dans la société, par leur famille et leur mari.
Ensuite, ces femmes ne sont pas propriétaires et si elles n’ont pas d’autonomie économique, c’est très difficile de les réinsérer dans la société. Nous les amenons à travailler ensemble et se soutenir. Une fois qu’elles arrivent à monter leur business correctement, il faut qu’elles demandent un crédit à la banque. Pour l’obtenir, elles ont besoin de garanties ; c’est ce à quoi nous avons dédié l'argent accompagnant le prix.
Enfin, dernier pilier, se pose la question de la dignité. Nous aidons les femmes pour la reconnaissance de leur statut de survivantes devant les cours de justice, pour que la honte puisse plutôt être sur le bourreau, et non plus sur la victime.
Quel message souhaitez-vous porter ?
Aujourd’hui, notre monde a tendance au repli sur soi, à l’indifférence. Il est très important de rappeler que nous devons nous battre pour conserver les acquis d’une démocratie. Une vraie démocratie est une démocratie qui s’ouvre aux autres et permet de créer un monde meilleur, pas seulement pour soi mais pour tout le monde.
Le viol est utilisé comme une arme de guerre, une arme qui déstructure la société.
Comment les Parisiens et les Parisiennes peuvent vous aider dans votre combat ?
Tout d’abord, j’attends qu’ils comprennent. Parfois, j’ai l’impression que, pour certains, les violences sexuelles sont le fait de quelques barbares en Afrique qui violent des femmes, etc. Or ces violences sont partout : dans nos maisons, nos milieux professionnels et éducatifs, nos transports en commun. Malheureusement, elles sont entretenues dans toutes les sociétés patriarcales par un système de silence, de tabou, qui protège beaucoup plus les bourreaux que les victimes. Les gens ne se rendent pas compte qu’ici, en France, tous les deux à trois jours une femme est tuée par son partenaire intime. La violence, même en temps de paix, est partout. C’est pourquoi la lutte contre les violences sexuelles doit être globale.
Le grand problème, c’est lorsqu’on bascule dans un état de conflit, il n'y a plus la loi, plus la foi. À ce moment-là, ce qui était latent dans la société devient patent. Dans tous les conflits, malheureusement, ce sont les femmes et les enfants qui paient. Il y a eu des viols de femmes coréennes, en Birmanie avec les Rohingya, en Syrie, en Irak, en Bosnie, au Kosovo, Colombie, au Pérou… Le viol est utilisé comme une arme de guerre, une arme qui déstructure la société.
Comment cela peut-il se traduire ?
Ce que je demande à la population parisienne, c’est, en tant que consommateurs, de s’assurer de ce qu’ils achètent. Si demain, les Parisiens se réveillent et disent : "Nous ne voulons plus des appareils souillés par les viols des femmes", tous les fabricants vont faire très attention et ils vont changer leur comportement d’approvisionnement.
Puis de me soutenir dans la campagne contre l’impunité. Les viols et les meurtres qui se déroulent en République démocratique du Congo ont été documentés par le Haut-commissariat aux Nations unies pour les droits de l’homme. Cette documentation a révélé 617 crimes de guerre et crimes contre l’humanité ainsi que des éléments constitutifs d’un génocide. Des femmes ont été enterrées vivantes, devant leur famille. Des femmes ont été mises dans une église et calcinées. Des crimes comme cela, pour notre humanité, c’est une honte!
Ce rapport existe. On connaît les victimes. On connaît les lieux où les viols et les crimes ont été commis. Le grand problème, c’est qu’on a caché les noms des criminels. A l'heure où je vous parle, ils peuvent continuer. Il est très important de faire connaître ce rapport et qu’on puisse suivre ses recommandations et demain, on aura un tribunal international pour le Congo et ça, ça sera formidable.
Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir aujourd’hui ?
Je suis très impressionné par la force de ces femmes que je suis. Elles se battent non pas seulement pour elles-mêmes, mais pour toute la communauté. Elles ont la capacité de transformer leur peine en pouvoir, leur souffrance en force, ce qui me donne un espoir pour le futur.
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