« Être pro ou anti-vaccin, c’est une notion qui ne veut rien dire »

Rencontre

Mise à jour le 11/12/2020

Attention, cet article n'a pas été mis à jour depuis le 11/12/2020, il est possible que son contenu soit obsolète.
Antenne de la protection maternelle infantile
Médecin-généraliste en PMI à la Ville de Paris et diplômée du DIU de Vaccinologie de Paris Sobonne/Lyon, Kristell Guével-Delarue est l’auteure de « L’Hésitation vaccinale. Les mots pour expliquer », édité en juin 2020 aux Presses de l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP). Alors que les Français sont toujours plus sceptiques face à la vaccination, la scientifique plaide pour une meilleure communication et une meilleure formation des professionnels de santé pour retrouver la confiance des patients.

Une étude réalisée en 2019 montre qu’un Français sur trois pense que les vaccins ne sont pas sûrs, un record en Europe… À quand remonte cette profonde défiance ?

Cette hésitation remonte à l’invention même du vaccin, au XIXe siècle. Dès le départ, il a été difficile de faire admettre à la population qu’on pouvait injecter un produit à un sujet sain. Et avant même l’apparition des vaccins, à l’époque de la « variolisation », la défiance était de mise : inoculer un peu de maladie à un sujet bien portant, quel scandale !
Ces hésitations ne sont toutefois pas franco-françaises. Il y a eu de grandes mobilisations anti-vax, notamment en Angleterre et outre-Atlantique, et il y en a actuellement encore en Allemagne, par exemple. Mais c’est vrai que nous sommes les champions de l’hésitation vaccinale, et ça se confirme avec l’arrivée des vaccins anti-Covid.
Bien sûr, plusieurs vrais scandales sanitaires ces dernières années ont pu accentuer la défiance envers l’industrie pharmaceutique et les politiques de santé publique, comme celui du sang contaminé ou du Médiator®.

Comment l’expliquer dans le pays de Pasteur, le père de la vaccination ?

Il y a d’abord un vrai problème de communication. Prenez l’exemple de la campagne de vaccination contre l’hépatite B dans les années 1990. Les vaccins étaient très efficaces, mais au bout de quelques mois, on a rapporté quelques cas de sclérose en plaques dans la population vaccinée. Les nombreuses études qui ont suivi n’ont jamais pu démontrer qu’il y avait un lien de cause à effet : simplement, on a vacciné une population de 20 millions de personnes, dont de nombreuses à l’adolescence, âge auquel cette maladie se déclare.

Le problème est qu’on ne peut pas démontrer que quelque chose n’existe pas. Prouvez-moi que le père Noël n’existe pas. Vous ne le pouvez pas.

Docteur Kristell Delarue
médecin généraliste en pmi
Le lien était donc probablement temporel, mais pas causal. Tout au plus le vaccin peut agir comme stimulation immunitaire, à l’instar de n’importe quel virus, et révéler une maladie qui se serait révéler de toutes façons. Pourtant, trente ans plus tard, les réticences et le scepticisme perdurent.

Pourquoi cette défiance à l’égard de la vaccination perdure-t-elle, malgré l’absence de preuve de dangerosité ?

Le problème est qu’on ne peut pas démontrer que quelque chose n’existe pas. Prouvez-moi que le père Noël n’existe pas. Vous ne le pouvez pas. On pourra faire des études à l’infini, on nous répondra toujours qu’on ne peut pas le prouver. Et c’est vrai. Les études ne montrent pas de lien.
Il est intéressant de noter également que la polémique sur l’hépatite B et la sclérose en plaques, par exemple, est très franco-française, tandis que celle sur le vaccin ROR [rougeole-oreillons-rubéole, obligatoire pour les enfants nés après le 1er janvier 2018, ndlr] et l’autisme est internationale [une étude parue en 1998 dans The Lancet faisait le lien, mais les données avaient été manipulées par l’auteur, ndlr].
Quant au doute sur les sels d’aluminium présents dans les vaccins, dont l’injection intramusculaire provoquerait dans de rares cas une myofasciite à macrophages, aucune étude n’a pour l’heure prouvé cette affirmation faite par une équipe de chercheurs de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, et il n’y a jusqu’ici pas d’autres cas répertoriés dans le monde.

Difficile de communiquer sur des études, dont les données ne sont parfois compréhensibles que par les initiés…

Oui, nous pouvons être meilleurs en communication, c'est sûr. Un autre exemple révélateur est l'étude qui a introduit l’obligation vaccinale, qui porte à 11 le nombre de maladies concernées pour les enfants de moins de 2 ans nés après le 1er janvier 2018, au lieu de 3 auparavant. Ça se sait peu, mais cette décision découle d’une concertation citoyenne qui a rassemblé des médecins, des chercheurs, des institutionnels et des associations de patients. Ce n’est pas quelque chose qui a été imposée par une caste fermée, ça a été discuté avec toutes les parties.
Par ailleurs, cette obligation vaccinale est provisoire, elle est vouée à être réévaluée régulièrement, il n’y a jamais rien de définitif en la matière.
À ce sujet, j’ai aussi constaté, en tant que médecin en PMI, que les parents ne comprenaient pas pourquoi on passait de 3 à 11 vaccins obligatoires, pourquoi on ajoutait 8 vaccins à la liste. Mais ce n’est pas du tout ça ! D’abord, ces vaccins étaient déjà recommandés, et en moyenne 90% des enfants étaient déjà vaccinés. Mais les indicateurs montraient qu’il fallait augmenter encore la couverture vaccinale.
Par ailleurs, on ne parle pas de 11 piqûres : il ne s’agit pas de 11 vaccins, mais de 11 maladies. Ce n’est pas la même chose. Là encore, il y a un problème de communication.

N’est-ce pas finalement au corps médical de rétablir cette confiance ? De faire ce travail d’éducation et de vulgarisation ?

Je pense en effet que la communication de terrain, lorsque l’on se trouve en face des patients, est bien plus efficace. Les politiques publiques à grand coup de campagnes ne peuvent pas être le seul outil.
L’idée n’est pas d’inciter à la vaccination à tout prix. Dans le meilleur des mondes, on aimerait ne pas la rendre obligatoire. Il faudrait pouvoir expliquer clairement les choses afin que les gens puissent prendre leur décision par eux-mêmes en toute conscience, en prenant en compte le principe de balance bénéfice-risque : qu’est-ce qui est le mieux pour moi et pour mon entourage ? Car la vaccination est un acte de prévention individuel, mais aussi collectif.
Sauf que c’est plus compliqué que ça. Notamment parce qu’il y a aussi un défaut de formation initiale et continue des médecins, on pèche à ce niveau. Si on n’a pas la formation pour répondre aux interrogations des patients, comment pourront-ils avoir confiance en la vaccination ? Se contenter de leur dire : « On sait ce qui est bon pour vous, croyez-nous sur parole », ça ne fonctionne plus. D’autant plus lorsqu’il s’agit de la santé de leurs enfants.

Ne trouvez-vous pas légitime d’avoir peur de se faire injecter un produit pour se prémunir d’un agent infectieux (virus, bactérie…) ?

Absolument, surtout quand on n’a pas encore beaucoup de recul. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Pour la Covid en l’occurrence, les trois phases d’expérimentation, qui concernent plusieurs dizaines de milliers de personnes, montrent qu’il n’y a pas d’effets secondaires graves.

Ce qui prime, c’est la balance bénéfice/risque : est-ce qu’une personne âgée prend plus de risque à déclarer une forme sévère de la Covid qu’à se faire injecter un vaccin pour lequel aucun effet indésirable grave n’a à ce jour été remonté ?

Docteur Kristell Delarue
Médecin généraliste en PMI
Ce qui prime, c’est la balance bénéfice/risque, à savoir : est-ce qu’une personne âgée prend plus de risque à déclarer une forme sévère de la Covid qu’à se faire injecter un vaccin pour lequel aucun effet indésirable grave n’a à ce jour été remonté ? C’est vite vu : la balance est clairement en faveur du vaccin. C’est d’ailleurs pour ça que l’on vaccine en priorité les personnes âgées.

D’accord, mais dans 6 mois, dans 1 an, si des effets secondaires inconnus jusqu’ici apparaissent, qu’ils soient graves ou non, que fera-t-on ?

C’est exactement pour cette raison qu’un système de pharmacovigilance se met en place dès la mise sur le marché d’un vaccin, ou d’un médicament. C’est lui qui dira si des cas rarissimes d’effets secondaires graves surviennent à moyen ou long terme. Rappelez-vous, lors de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 en 2009, plusieurs cas de narcolepsie ont été remontés quelques semaines après la mise sur le marché d’un des vaccins. On a tout de suite arrêté leur utilisation, mais la campagne a continué avec ceux qui n’avaient pas d’effets secondaires.

S’il n’y a pas de risques, c’est sans doute qu’il n’y a pas d’efficacité. Le vaccin, c’est comme la ceinture de sécurité : oui, il y a un risque que vous restiez coincé par la ceinture en cas d’accident. Mais statistiquement, il y a bien plus de chances qu’elle vous sauve la vie.

Docteur Kristell Delarue
Médecin généraliste en Pmi
Il faut dans ce cas réévaluer la dangerosité du vaccin ou du médicament incriminé et de nouveau redéfinir la balance bénéfice-risque, qui conditionnera sa suppression définitive ou non. C’est vrai pour tous les médicaments et les vaccins.
Et puis, s’il n’y a pas de risques, c’est sans doute qu’il n’y a pas d’efficacité. Quand je prends une aspirine, il y a un risque. Le vaccin, c’est comme la ceinture de sécurité : oui, il y a un risque que vous restiez coincé par la ceinture en cas d’accident. Mais statistiquement, il y a bien plus de chances qu’elle vous sauve la vie. C’est cela, le principe de prévention !

Comment faire pour arriver à mieux débattre sans cristalliser encore un peu plus les tensions entre les « pro » et les « anti-vax » ?

D’abord, je réfute ces deux termes. Être pro ou anti-vaccin, c’est une notion qui ne veut rien dire. Il faut comprendre qu’un vaccin, c’est une entité particulière. Il y a ce vaccin-là, pour cette maladie-là, dans ce pays-là. Moi par exemple, en France, je ne conseillerais pas le vaccin contre la varicelle pour un enfant bien portant. Parce qu’on est en France et que ce virus circule beaucoup, parce qu’on ne sait pas trop pour combien de temps le vaccin protège et qu’un adulte est plus susceptible de contracter une forme grave s’il ne l’a pas eu enfant [la maladie étant bénigne chez l’enfant, il est préférable qu’il la contracte jeune pour être immunisé à l’âge adulte, ndlr]. Je n’aurais pas le même discours aux États-Unis, par exemple.
Pour être clair, ce n’est pas un prérequis sur la vaccination qui va me faire affirmer : « Je vais vacciner tout le monde, pour toutes les maladies. » Il est nécessaire pour décider d’une vaccination, de considérer chaque patient, avec ses propres antécédents et son contexte de vie.
Moi je suis médecin, j’ai une vision médicale et épidémiologique. Une politique vaccinale englobe également une dimension économique, sociologique et politique. Les journalistes ont encore une autre façon de voir les choses, et bien sûr le grand public aussi. Mais ce qui est intéressant, c’est de croiser les opinions et les points de vue, de pouvoir se parler.

Que dire sur l’arrivée prochaine des vaccins anti-Covid en France, dont la technique est novatrice ? Doit-on être inquiet ou au contraire soulagé ?

En ce qui concerne les deux premiers vaccins anti-Covid (vaccins à ARN messager), c’est vrai qu’il s’agit d’une technique très innovante, dans la mesure où elle n’avait pas encore été commercialisée. Il est donc compréhensible que les gens soient sceptiques, qu’ils ne soient pas rassurés.
Toutefois, la recherche sur les caractéristiques immunogènes des ARN sont connus depuis les années 1990. Le premier essai clinique sur des cancers date de 2002, et les premiers essais pré-cliniques sur des agents infectieux de 2012.

Le risque reste mesuré, sans parler de tous les systèmes de vigilance mis en place. Personne n’a intérêt à ce qu’un vaccin soit dangereux !

Docteur Kristell Delarue
médecin généraliste en pmi
Si les choses se sont accélérées ces derniers mois, c’est surtout grâce à des financements fantastiques dans ce contexte épidémique. On aurait en temps normal attendu des dizaines d’années, faute de moyens.
Par ailleurs, la rapidité exceptionnelle de la mise sur le marché s’explique aussi par le fait que les différentes phases d’expérimentation ont été réalisées en même temps, sans qu’on attende les résultats d’une phase pour démarrer la suivante. Nécessité a fait loi. Mais nous ne sommes pas dénués de bon sens, et le risque reste mesuré, sans parler de tous les systèmes de vigilance mis en place. Personne n’a intérêt à ce qu’un vaccin soit dangereux !
« Hésitation vaccinale, les mots pour expliquer »
Le docteur Kristell Delarue a publié en mai 2020 « Hésitation vaccinale, les mots pour expliquer », ouvrage dans lequel elle analyse les principales causes de la réticence et rétablit les vérités scientifiques. L’aluminium contenu dans les vaccins est-il dangereux ? Se vacciner contre la grippe a-t-il un intérêt ? Le vaccin contre le Papillomavirus est-il utile et sûr ? L’allaitement suffit-il à protéger un nourrisson ? Un enfant né prématurément peut-il être vacciné ? Est-il possible de vacciner sans douleur ?…
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