Gambetta, Thiers, Trochu, Victor Hugo… ces figures du siège de Paris (4/5)
Série
Mise à jour le 10/11/2020
Sommaire
On en connaît certains… d’autres sont totalement oubliés. Quelques-uns ont donné leur nom à une artère parisienne. Qui étaient, côté français, les hommes clés durant le redoutable siège de Paris de 1870-1871?
Divergence,
conflit, division… Face aux armées prussiennes encerclant Paris, les dirigeants
français, aux idées politiques parfois très opposées, ont affiché - assez brièvement certes - une union sacrée de pure apparence. Portraits de certains
de ces hommes si dissemblables.
Adolphe Thiers (1797- 1877), l’homme de la paix à tout prix
Au
moment du siège de Paris par les Prussiens, Adolphe Thiers est déjà un vieux
briscard de la politique. Il a été notamment deux fois président du conseil
(Premier ministre) sous le règne de Louis-Philippe. Pensant pouvoir le manipuler,
il a soutenu la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. En
revanche, il s’est opposé à l’empire. Et quand Napoléon III voulut déclencher
la guerre contre le royaume de Prusse à l’été 1870, Adolphe Thiers s’y est
fortement opposé en lançant « vous n’êtes pas prêts »
Lors
de l’instauration de la République, Adolphe Thiers est pressenti pour devenir ministre des Affaires étrangères mais il refuse et Jules Favre est alors nommé dans cette fonction. Ce dernier confie à
Thiers la mission d’effectuer une tournée des capitales européennes afin de
chercher des appuis contre la Prusse. Thiers se rendra ainsi successivement à
Londres, Vienne et Saint-Pétersbourg…. Sans succès. Le 30 octobre, grâce à un
sauf-conduit, il est autorisé par les Prussiens à regagner Paris assiégé. Il
continue de plaider pour des négociations avec les Prussiens. II rencontre
ainsi Bismarck à Versailles fin octobre. Mais le gouvernement ne donne pas
suite, n’osant pas s’aventurer davantage
dans des négociations de paix, alors que Paris connaît une journée
insurrectionnelle le 31 octobre.
L’armistice qu’il
souhaitait tant est signé le 28 janvier avec les Allemands. Après les élections
législatives du 8 février, Thiers est nommé
« chef du pouvoir exécutif de la République française ». Autrement dit, il devient le premier président de la IIIe République. Il signe très vite fin février un premier traité de paix avec les Allemands. On connaît
la suite : Thiers écrasera dans le sang la Commune de Paris. Le jeune
Georges Clemenceau dira alors de lui : « Thiers, le type même du bourgeois
cruel et borné, qui s’enfonce sans broncher dans le sang »
Victor Hugo (1802- 1885), le héros populaire
Le célèbre écrivain - surnommé le
« poète national - revient à Paris dès le 5 septembre au lendemain de la proclamation
de la République. Victor Hugo était en effet exilé depuis dix-neuf ans en
raison de sa virulente opposition à l’Empire et Napoléon III qu’il appelait
« Napoléon le Petit ».
Il reçoit un accueil triomphal des
Parisiens. Au début, il soutient, au nom de l’intérêt du pays, le gouvernement
de la Défense nationale présidé par le général Trochu. Mais il s’éloignera
progressivement de ce dernier, n’hésitant pas à écrire de redoutables pamphlets
sur lui qu'il accuse de défaitisme. Victor Hugo aura ainsi cette terrible formule
« Trochu, participe passé du verbe trop choir ».
En revanche, durant toute la durée du
siège, l’auteur des Misérables jouit d’une énorme popularité auprès du peuple parisien.
Le boulevard Haussmann est même – provisoirement – rebaptisé à son nom. Victor
Hugo fait notamment don d'une partie de ses droits d’auteurs aux associations qui
viennent en aide aux blessés. Et alors qu’il n’a aucune fonction élective (il
sera élu député en février 1871), hommes politiques, intellectuels, officiers,
se bousculent pour le rencontrer.
Il faut dire que le grand homme soigne sa réputation. Ainsi, il s’achète un
képi et projette d’accompagner une sortie de la garde nationale… On le lui
interdit : « "La garde nationale de Paris fait défense à Victor Hugo d'aller à l'ennemi,
attendu que tout le monde peut aller à l'ennemi, et que Victor Hugo seul peut
faire ce que fait Victor Hugo" (9 décembre 1870): extraits du livre d’Annette Rosa, "VICTOR HUGO, l’éclat d’un siècle", 1985, Éditions Messidor/La Farandole, Paris, 214 pages.
Alors Hugo écrit des poèmes. Ainsi ces quelques vers qui illustrent la famine à Paris:
Nous mangeons du cheval, du rat, de l'ours, de l'âne
Paris est si bien pris, cerné, muré, noué Gardé, que notre ventre est l'arche de Noé…ÉCRIVAIN et POÈTE
Victor Hugo assiste dépité à la fin du siège de
Paris. En février 1871, il écrira : « Paris
a été victime de la défense autant que de l'attaque ». Il est élu
député de la Seine, lors des élections législatives du 8 février 1871. Le
peuple de Paris refuse toujours la défaite et la Commune commence le 18 mars.
Apprenant les événements de cette journée alors qu’il se trouve à Bruxelles, il
écrit dans son journal : « Thiers,
en voulant reprendre les canons de Belleville, a été fin là où il fallait être
profond. Il a jeté l’étincelle sur la poudrière. Thiers, c’est l’étourderie
préméditée »
Louis-Jules Trochu (1815- 1896), le général qui n’y croyait plus
Ce général,
Breton, catholique et plutôt orléaniste (1), avait connu la disgrâce sous Napoléon
III pour avoir dénoncé en 1867 la désorganisation de l’armée. L’empereur le
nomme cependant gouverneur de Paris en aout 1870.
A la proclamation de la République, il hésite à
rejoindre Jules Favre, Gambetta, Arago qui viennent de proclamer la République
à l’Hôtel de Ville de Paris. Après avoir obtenu certaines garanties, il accepte
de devenir président du gouvernement de la Défense Nationale. Sur le papier,
Trochu est en réalité le premier chef d’État de la Troisième République… Politiquement assez conservateur, le général
Trochu parvient cependant à se faire aimer du peuple de Paris, plutôt frondeur,
grâce à ses déclaration guerrières : « Nous ne sommes pas au pouvoir, mais au combat » ;
« Ne pensez qu’à la guerre et aux mesures qu’elle doit engendrer ».
Trochu s’emploie à renforcer les fortifications autour de Paris.
Au départ, il semble exclure toute capitulation. Mais, progressivement, avec la
succession des échecs militaires, son état d’esprit évolue. Et ce d’autant plus
qu’il craint de plus en plus des troubles politiques dans la capitale. C’est
notamment pour cela qu’il omet dans un premier temps d’avouer que Bazaine a
capitulé à Metz. Trochu refuse également l’envoi de renforts pour tenir Le
Bourget lors d'une offensive face aux Prussiens. Pis, il délègue Thiers à Versailles pour discrètement négocier avec
Bismarck. Tous ces faits conduisent au
soulèvement parisien du 31 octobre lors d’une première tentative d’instituer
une Commune. Trochu s’en sort de justesse grâce à l’aide de Jules Ferry. Il
organise un plébiscite le 3 novembre … qu’il emporte.
Après l’échec de la « Grande sortie » - bataille de
Champigny de la fin novembre – visant à briser l’encerclement, puis la
désastreuse défaite de Buzenval le 19 janvier 1871, Trochu en vient
ouvertement à se prononcer pour la capitulation. Sa destitution est
alors demandée le 22 janvier. Il démissionne de lui-même. Attaqué de
toutes parts, Trochu déclare le 17 janvier que le siège de Paris était une
« héroïque folie » et qu’il n’y
a qu’une «date qui mérite de rester dans l’exécration publique, c’est la
date de la déclaration de la guerre faite dans l’orgueil, sans préparations et
sans alliances».
En
février 1871, il est mis en disponibilité à sa demande. Thiers qui lui
succède à la tête de l’Etat lui offre un titre de maréchal qu’il refuse, tout
comme la grand-croix de la Légion d’honneur ou encore l’Académie française.
Natif de Belle-Ile-en-Mer, il se fait alors élire député du Morbihan. Un siège
qu’il quitte en juillet 1872 et abandonne la vie publique.
(1) Le général Trochu, Jean
Brunet-Moret, éd. Haussmann, 300 pp. 1955
Léon Gambetta (1838-1882), le partisan de la guerre à outrance
Avocat de formation et
farouchement Républicain, Léon Gambetta est élu député de Paris lors des
législatives de 1869. Après la défaite de Sedan, afin de sauvegarder l'unité nationale, il hésite à proclamer la
République. Mais devant la menace des Républicains "radicaux ", il fait partie de ces quelques Républicains "modérés" qui se précipitent à l’Hôtel de Ville de Paris pour
proclamer la République et instaurer un gouvernement de la Défense nationale
dans lequel il est ministre de l’Intérieur.
Partisan de la poursuite de la
guerre contre les Prussiens, il s’envole en ballon de Paris assiégée – depuis
Montmartre - le 7 octobre et rejoint
Tours où, désormais également ministre de la Guerre, il lève de nouvelles
armées pour tenter de secourir Paris et organiser la guerre en province. Bien
qu’il soit partisan d’une « guerre à outrance », la capitulation de
Bazaine à Metz (27 octobre), l’échec de la jonction entre « l’armée
de la Loire » avec les Parisiens assiégés et enfin la rédition de la
capitale épuisée le 28 janvier ont raison de ses efforts. Il démissionne de ses
fonctions le 6 février 1871. Thiers, Trochu et quelques autres lui reprocheront
son « jusqu’auboutisme » durant la guerre avec les Prussiens. L’écrivaine
George Sand aura même ces phrases sévères :
« Nous avons bien le droit de maudire celui qui s'est
présenté comme capable de nous mener à la victoire et qui ne nous a menés qu'au
désespoir. Nous avions le droit de lui demander un peu de génie, il n'a même
pas eu de bon sens » (Journal d'un
voyageur pendant la guerre).
Tout cela n’empêchera pas Gambetta de poursuivre sa carrière politique durant encore une dizaine d'années.
Sans oublier Arago, Blanqui… et les autres
Etienne Arago (1802-1892), à ne pas confondre
avec son célèbre frère François, fût élu par acclamation maire de Paris sur
proposition de Léon Gambetta. Il fût efficace mais ne resta maire que jusqu’en novembre 1870, car il estimait qu’un maire simplement
choisi par acclamation n’avait pas de légitimité…
Pour sa part, Jules Favre (1809-1880), cet
avocat républicain modéré devient vice-président du gouvernement de la Défense
nationale et ministre des Affaires étrangères.
Il est partisan du maintien du gouvernement à Paris et déclare que la
France ne cédera ni un pouce de territoire ni une forteresse aux
Prussiens/Allemands. Or, dès le 19 septembre, lors d’une entrevue avec
Bismarck, celui-ci lui indiqua qu’il se saisirait de l’Alsace-Moselle comme
condition à la paix. C’est lui qui négocia l’armistice du 28 janvier 1871… sans
en référer à Gambetta et au gouvernement réfugié à Bordeaux.
Louis-Auguste Blanqui (1805-1881), le vieux républicain socialiste à la déjà grande
renommée, malgré de grosses divergences avec Favre, Gambetta, Arago, est partisan
de l’unité nationale contre la Prusse. Aussi, il leur apporte son soutien. Mais
progressivement Blanqui se méfie de plus en plus de Trochu qui ne veut pas
armer le peuple et semble douter de la victoire française. Blanqui se fait
élire à la tête d’un bataillon de la Garde nationale. Trochu conteste cette
élection et « l’union sacrée » est rompue entre Blanqui et les
Républicains modérés. Il participe activement à la journée révolutionnaire du 31
octobre qui est un échec pour lui et ses partisans
Dans son journal « La Patrie en danger » Blanqui
dénonce avec virulence le gouvernement qui cherche à négocier avec les
Prussiens.
Le 8 février 1871, Blanqui n’est pas élu dans la nouvelle
Assemblée nationale. Il accuse, dans un pamphlet intitulé Un
dernier mot, le gouvernement (qualifié de "dictature de l'Hôtel de
ville") de "haute trahison et d'attentat contre l'existence même de
la nation".
Il est
fait arrêté par Thiers et ne pourra pas ainsi participer à La Commune.
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