Jean-Jacques Annaud : « J’ai tout de suite vu le drame cinématographique »

Rencontre

Mise à jour le 03/02/2022

Tournage du film de Jean-Jacques Annaud sur Notre Dame
Jean-Jacques Annaud, le réalisateur de 78 ans dont les films ont marqué plusieurs générations, nous raconte pourquoi il consacre un long métrage à Notre-Dame. Passionné par les églises et l’architecture, le cinéaste n’a pas été long à convaincre pour réaliser un film qui retrace, minute par minute, l’incendie historique subi par la cathédrale de Paris.

Pourquoi avoir choisi de faire un film sur Notre-Dame ?

Ma relation avec les églises et les cathédrales est extrêmement lointaine. Je suis baptisé, mais ma famille est républicaine. Vers l’âge de 9 ans, j’ai eu envie de photographier les églises. J’avais même fait un gros catalogue que j’avais pompeusement intitulé Inventaire général des églises peu connues de France que j’ai encore.
Comme nous habitions à Juvisy, nous descendions souvent à la station Saint-Michel. Ma mère m’a fait visiter de très nombreuses fois la cathédrale. À partir de 11 ans, j’ai utilisé mon argent de poche pour m’abonner à une revue qui s’appelait Zodiaque et qui était faite par les moines de l’Abbaye de la Pierre qui vire.
J’ai gardé ces livres précieusement parce que ce sont les meilleures monographies sur les églises romanes au monde. Cette architecture m’a fait rêver, de même que le premier gothique. Sans compter la transition entre le roman et le gothique qui m’a passionné. J’étais fils unique, alors j’étais un peu bizarre ! Je passais mon temps dans les livres, et quand des copains venaient, ça me dérangeait.

Vous racontez que c’est Jérôme Seydoux qui vous a d’abord proposé de faire un documentaire sur Notre-Dame…

Le soir de l’incendie, j’étais dans une maison sans télévision, mais en écoutant la radio j’ai tout de suite pensé au potentiel cinématographique de l’incendie. J’ai dit à ma femme : « Imagine le nombre de crétins qui vont se précipiter pour en faire un film ! » Il y a tous les éléments pour un bon film : le drame du feu et le symbole de la France, de Paris et de la chrétienté. Il y a l’ennemi qui est le feu et la victime qui est dans l’impossibilité d’être soignée, car les soignants n’arrivent pas. C’est un élément de suspense exceptionnel. Je me suis dit que ça allait susciter un engouement phénoménal, mais je n’aime pas être dans le pot commun, donc j’ai complètement laissé tomber.
Mais quelques mois plus tard, mon ami Jérôme Seydoux [coprésident des cinémas Pathé, ndlr] me propose de faire un documentaire. Je lui réponds que je n’en ai jamais fait et que l’événement mériterait une autre approche. Il me donne un peu de documentation et je rentre chez moi. Et là j’ai failli l’appeler à une heure du matin pour lui dire d’accord, à condition que ça ne soit pas un documentaire, mais que ça soit très proche de la réalité. Comme si c’était un documentaire avec des éléments qui n’ont pas été filmés.

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

En lisant la documentation, ça paraissait faux tellement c’était incroyable. Je me suis pris au jeu et j’ai passé trois semaines à bouquiner, à lire et à voir tout ce que je pouvais et à me demander si tout ça était bien vrai. Les spectateurs vont apprendre des centaines de choses en regardant le film. Parce qu’à tous les stades, il y a eu des dysfonctionnements. Mais ce qui est beau dans cette histoire, c’est qu’il y a une fin heureuse. La cathédrale n’était pas en très bon état. Elle va être remise en bien meilleur état et face à cet incendie colossal et monstrueux, il n’y a ni mort ni blessé. Tout a été sauvé.

C’est une histoire qui commence terriblement mal et qui se termine de manière très lyrique.

Jean-Jacques Annaud
Réalisateur dE notre-dame brûle

Vous avez rencontré tous les protagonistes de l’incendie, qu’en avez-vous retiré ?

Le film est suffisamment chargé d’éléments rocambolesques et dramatiques pour ne pas avoir besoin d’en inventer. Il y a eu en plus des rebondissements extrêmement cinématographiques. La vraie histoire est comme un scénario bien écrit. Ce qui m’a intéressé, c’est de faire ce travail en profondeur, d’interviewer autant de monde que possible.
La grande surprise était là : les premiers arrivants sont restés 20 minutes sans voir de pompiers. Le feu s’est déclaré à 18h11 et le premier convoi, sans être en service, est arrivé à 19h01. Puis les portes étaient fermées, car le fils du gardien avait perdu le passe et la cathédrale avait décidé de changer toutes les serrures. Le prêtre venu pour ouvrir avait l’ancien passe…
Les généraux ont appris qu’il y avait le feu par l’intermédiaire d’un ami touriste à Florence qui a vu à la télé que Notre-Dame brûlait. J’ai fait une chronologie qui m’a pris beaucoup de temps, car les différentes sources ne donnent pas les mêmes horaires. Mais maintenant, je suis en train de l’affiner, car de nombreuses personnes ont filmé l’incendie avec leur téléphone et m’envoient leurs images.
J'ai aussi rencontré les volontaires qui acceptent de mettre leur vie en danger pour sauver des vies, et qui estiment à ce moment-là que les pierres de la cathédrale valaient plus que leur vie. Ils ont compris que ce symbole en valait la peine. Je sais que les généraux ne voulaient pas risquer la vie de leurs hommes délibérément. Ils disaient pendant le feu qu’une cathédrale se reconstruit, mais pas la vie d’un pompier.

On ne sait pas encore comment le feu s’est déclenché dans la cathédrale. Quelle hypothèse avez-vous privilégiée ?

Je montre des hypothèses sur la façon dont le feu s’est déclenché. Si par hasard les services compétents arrivent à démontrer comment cela s’est fait, je pourrai en mettre moins. J’ai anticipé cette possibilité. Concernant l’hypothèse de la cigarette, des gens ont effectivement fumé. Mais de là à dire que ce sont les fumées ou les cigarettes qui ont déclenché le feu, on ne sait pas. Je sais où ils ont fumé, quelle marque, où ils cachaient leurs cigarettes, etc. Mais ce n’est pas le propos. Si le film était une enquête pour savoir la vérité, ça aurait été un tout autre film. Là ce n’est pas le cas, je m’occupe d’un événement que nous connaissons.
Les gens qui ont assisté à l’incendie sont venus me voir sur le plateau, sur le parvis de Notre-Dame. Ces différents pompiers qui ont vécu l’incendie, qui étaient sur la coursive nord, quand ils sont venus sur le plateau, ont eu la chair de poule. On avait mis des braises sur le parvis qui croustillaient sous les pas des pompiers. Ils ont expliqué que les sensations étaient les mêmes. Je suis content de voir que même les gens qui y étaient ont retrouvé les mêmes sensations.

Vous essayez donc de reconstituer la réalité ?

La brigade des pompiers nous a prêté beaucoup de matériel, dont certains camions réformés qu’ils ont gardés pour nous. J’ai aussi deux membres de la brigade qui viennent à tour de rôle sur le plateau pour me conseiller et m’aider sur les détails, comme la taille des tuyaux ou la pression de l’eau.
C’est extrêmement intéressant de voir à quel point la réalité est beaucoup plus stupéfiante, c’est pour ça que j’ai tellement envie de coller à la réalité. Car elle dépasse complètement ce qu’on aurait pu imaginer. Je n’aurais pas osé inventer un scénario pareil, c’est trop invraisemblable. Mais ce qui est bien, c’est de faire de l’invraisemblable verrouillé dans la réalité. Je crois d’ailleurs que pour la plupart des incidents graves, ça démarre par des petites choses ridicules, un fil pas branché, par exemple. Malgré les protocoles et les validations, il arrive des choses invraisemblables.

Pour se laisser prendre par l’histoire, il ne faut pas être troublé par un détail qui semble faux. Il faut donc lisser tout ça de façon à ce que chaque détail dirige vers une authenticité.

Jean-Jacques Annaud
RÉALISATEUR De NOTRE-DAME brûle
Dans ce chaos, il y a eu de vrais actes d’héroïsme. Je pense aux cinq gars qui sont allés au cœur du feu et qui l’ont éteint avec un petit tuyau. Ça a été décisif. Il y a aussi un personnage très important : le régisseur qui était à Versailles ce jour-là. C’était le seul à savoir comment sauver les œuvres. Évidemment, il a raté son train pour rentrer, puis la station Saint-Michel était fermée, et quand il a voulu prendre un Vélib’, le premier n’avait pas de chaîne…

Vous avez un goût du détail important…

Oui, car il sert à verrouiller l’essentiel. Car le spectateur, même s’il ne connait pas tous les détails, se rend compte lorsque le détail n’est pas bon. Ça décrédibilise toute l’histoire. Pour se laisser prendre par l’histoire, il ne faut pas être troublé par un détail qui semble faux. Il faut donc lisser tout ça de façon à ce que chaque détail dirige vers une authenticité. C’est pour ça que depuis toujours, j’accorde autant d’attention aux détails.

Vous avez aussi tourné dans les cathédrales de Bourges et de Sens. Quel accueil vous a été fait ?

Ils ont été adorables, extraordinaires, d’une gentillesse et heureux de collaborer. Ils ont tout mis à notre disposition. La population était très contente de voir quelque chose se passer. C’est aussi le charme de la province, les gens sont fondamentalement gentils et n’ont pas la pression des Parisiens qui sont toujours pressés et anxieux. Quoique, même à Paris, les gens étaient très gentils. Plein de gens sont venus remercier l’équipe de faire ce film. J’étais un peu embêté parce que j’ai immobilisé le quai Montebello (5e) pendant une journée, mais il n’y a eu aucune plainte. J’ai été charmé et surpris du bon accueil des Parisiens.
Sur le plan des autorités, cela ne s’est pas fait tout de suite, mais quand les pompiers ont vu qu’on travaillait sérieusement et qu’on s’attachait aux détails, on a développé un rapport d’amitié. J’ai beaucoup de respect pour cette corporation que je ne connaissais pas. Ce sont des gens qui vivent avec le sentiment de faire quelque chose d’utile et de positif pour les autres. Ça change tellement du milieu hollywoodien où les gens racontent n’importe quoi pour se faire mousser.

Vous donnez l’impression de prendre beaucoup de plaisir à faire ce film…

À 7 ans, je rêvais de faire du cinéma, j’ai fait deux écoles de cinéma puis je suis devenu metteur en scène. Je n’ai fait que ça dans ma vie. Ma vie c’est le plateau, le casting, la presse, les festivals. Si je ne suis pas heureux dans ces moments-là, c’est ma vie qui n’est pas heureuse. Le plateau, c’est donc une grosse partie de ma vie. De même, j’adore la préproduction, l’écriture du scénario. Je suis resté six mois derrière mon bureau, mais j’ai été plus vite que d’habitude, à cause du confinement. Pas de cinéma, de théâtre, de dîner, rien. J’ai gagné énormément de temps à ce moment.

Tous les jours en rentrant chez moi, je regarde si ma star va bien, et je suis content de savoir qu’elle est entre de bonnes mains. J’ai beaucoup de tendresse et d’admiration pour mon actrice principale.

Jean-Jacques Annaud
RÉALISATEUR De NOTRE-DAME brûle
C’est un film qui me donne beaucoup de plaisir. Pour toutes ces raisons, parce qu’on filme des choses qui sont belles. Et j’y suis très sensible. Là je me trouve face au feu, un acteur effrayant, violent, vrai, cette dangerosité-là est poignante, dans des décors magnifiques et inspirants. J’ai le sentiment de faire un film sur une très belle actrice qui est en train de mourir et les secours n’arrivent pas. Tous les jours en rentrant chez moi, je regarde si ma star va bien, et je suis content de savoir qu’elle est entre de bonnes mains. J’ai beaucoup de tendresse et d’admiration pour mon actrice principale.

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