Les 150 ans de la Commune : l'origine (1/5)

Série
Mise à jour le 11/03/2021
Parc d'artillerie de la Butte Montmartre (18 mars 1871). Planche 175 de l'album sur la Commune :
Le 18 mars 1871, les Parisiens se rebellent contre le gouvernement. C'est le début de la Commune qui durera 72 jours. Un épisode historique qui a marqué les esprits. 150 ans après, la Ville de Paris a décidé de commémorer cet événement avec diverses manifestions. A travers une série de cinq articles, Paris.fr vous propose de revenir sur ce moment majeur de la (longue) vie de la capitale. Premier volet : les causes du soulèvement.
C’était il y a 150 ans ! Le 18 mars 1871 débutait la Commune de Paris. Un événement qui finira par « la semaine sanglante » du 21 au 28 mai où environ 20 000 communards furent tués par les Versaillais. Un court moment de l’histoire qui marqua et marque encore les esprits tant en France qu’à l’étranger.
Une parenthèse durant laquelle émergèrent cependant des droits et concepts novateurs : l’enseignement laïc et obligatoire, la séparation des Eglises et de l’Etat, l’ébauche de l’égalité professionnelle hommes-femmes, le divorce par consentement mutuel, etc.
La Ville de Paris a décidé de commémorer ce moment important de son histoire et du pays via de nombreux événements très divers (conférences, expositions, inaugurations de plaques, etc.).
Dans ce cadre, Paris.fr vous propose une série d’articles pour mieux comprendre l’histoire de la Commune : son œuvre, les femmes et les hommes qui en furent les acteurs, ses lieux symboliques
Mais, il faut commencer… par le commencement et comprendre les origines de l’insurrection parisienne.

Les origines immédiates

C’est d’abord la désastreuse guerre mal préparée contre la Prusse qui a mis le feu aux poudres. L’Empereur Napoléon III, encerclé, capitule à Sedan le 2 septembre 1870. Dès le 4 septembre, à Paris, la République est proclamée et un gouvernement de la Défense nationale est formé, composé de républicains modérés (Jules Favre, Jules Ferry), voire de conservateurs (le général Trochu). Ce gouvernement promet de continuer la lutte malgré le siège de l’armée prussienne que subit Paris à compter du 19 septembre.
Un siège de plus en plus difficile, la population parisienne souffrant énormément de la faim. Et les esprits s’échauffent face aux échecs militaires successifs pour tenter de désenclaver Paris. Après une énième tentative avortée en direction du Bourget, le 28 octobre, faute d’avoir accepté d’envoyer des renforts, Paris connaît une journée révolutionnaire le 31 octobre 1870 avec une première tentative d’instituer une Commune.
Le ton monte encore davantage en janvier 1871 quand les Parisiens apprennent que, discrètement, depuis des semaines, le gouvernement de la Défense nationale a engagé des pourparlers avec Otto von Bismarck, le chancelier allemand, pour parvenir à un cessez-le feu.
Et malgré un nouveau soulèvement populaire parisien le 22 janvier 1871 - où la troupe tire sur la foule dans le secteur de Belleville - visant à empêcher le gouvernement de capituler, Jules Favre signe le 28 janvier 1871 un armistice avec Bismarck. L’accord prévoit l’élection puis la convocation d’une assemblée nationale qui devra décider si elle accepte une paix définitive.

Une assemblée majoritairement monarchiste

Cette élection a lieu à la hâte le 8 février 1871. Elle se déroule au suffrage universel… exclusivement masculin toutefois. De plus, elle est tronquée car 500 000 soldats sont prisonniers des Allemands ou dans l'incapacité de voter. Et dans les 43 départements occupés par les Allemands, les Français ne peuvent pas non plus voter. Résultat, sur les 638 députés élus, près de 400 sont de tendance monarchiste, un peu plus de 200 appartiennent aux différentes familles des républicains et 30 sont bonapartistes.
Paris se singularise une fois encore en élisant 37 républicains sur un total de 43 députés. Parmi les élus parisiens, on trouve Louis Blanc, Georges Clemenceau, Victor Hugo… Le fossé va donc grandissant entre Paris et la province. La Capitale estime s’être bien défendue et ne pas avoir perdu contre les Prussiens/Allemands. Pour la ville, l’armistice est insupportable. A l’inverse, la province veut majoritairement la paix.

Les causes plus profondes

Paris est donc en décalage avec le reste du pays encore très rural et sensible aux opinions des notables locaux. Même s'il y a des embryons de "Communes" à Lyon, Marseille ou encore Saint-Etienne, elles sont très vite réprimées.
La sociologie de Paris est très particulière pour l’époque. La capitale est déjà une très grande ville de 1,8 million d’habitants. 57 % de ces habitants vivent du travail industriel et 12% d’une activité commerciale. Depuis la révolution de 1848, la ville est régulièrement le théâtre de grèves, droit obtenu en 1864, et de révoltes. La classe ouvrière est en pleine prise de conscience, d’autant plus que sa situation matérielle est désastreuse. Le baron Haussmann, proche de Napoléon III, note ainsi que plus de la moitié des Parisiens vivent « dans une pauvreté voisine de l’indigence ».
En outre, les transformations urbanistiques, notamment celles du Second Empire, ont quasi mis fin à la mixité sociale au sein de Paris. Les classes populaires (ouvriers et artisans) sont désormais très majoritairement concentrées dans le nord et l’est de la capitale (10e, 11e, 12e, 13e, 18e, 19e et 20e arrondissements), ce qui facilite leur organisation et encourage la propagation des idées républicaines, socialistes ou anarchistes.
Dans ce contexte, il convient de mentionner la situation particulière des femmes. Elles représentent 33 % de la population active parisienne et gagnent moitié moins que les hommes. Dans les ateliers, elles sont très souvent bafouées par leurs patrons et chefs d’équipe. Et leur condition est également difficile au domicile… Dès lors, les femmes ouvrières ressentent une immense volonté d’expression démocratique. D’où leur engagement précoce contre les Versaillais et en faveur de la Commune.

Le déclenchement

Paris est donc une poudrière avec une population politisée, organisée, armée (les 180 000 membres de la Garde nationale créée pour faire face à l’ennemi prussien) .Or, malgré tout, le nouveau gouvernement à la tête du pays va multiplier les provocations…
Depuis Bordeaux où elle siège, Paris étant toujours assiégée, la nouvelle assemblée sortie du scrutin du 8 février 1871 a confié le pouvoir exécutif à Adolphe Thiers -premier président dans les faits, sinon légitimement, de la IIIe République - connu pour son conservatisme et sa volonté farouche de soumettre Paris la rebelle. Affront suprême pour les Parisiens : les Allemands obtiennent de Thiers le droit de défiler sur les Champs Élysées le 1er mars 1871, Thiers ayant signé un traité préliminaire de paix avec le chancelier Bismarck.
Puis, nouvelle provocation, au lieu de réintégrer Paris jugée trop « rouge », l’assemblée quitte Bordeaux pour s’installer à Versailles… la ville royale !
D’autres décisions de Thiers enveniment encore la situation : la solde des membres de la Garde nationale est supprimée, ce qui prive de revenus de très nombreux Parisiens et leurs familles ; le moratoire sur le paiement des loyers, institué au début de la guerre, est aussi levé ; des généraux d’obédience bonapartiste sont nommés a des postes clés, notamment à la tête de la Garde nationale…

L'affaire des canons

Le dernier élément déclencheur est « l’affaire des canons ». Thiers décide le 16 mars 1871 de désarmer la ville afin de la purger de « tous les rouges ». 227 canons ont été retirés par la Garde nationale des Champs Élysées avant le défilé des Prussiens et ont été entreposés sur les collines de Montmartre et Belleville.
Adolphe Thiers envoie 4000 soldats chercher les canons dans la nuit du 17 au 18 mars. Alors que les soldats attendent les chevaux pour descendre les canons, ils se trouvent entourés par la foule – dont beaucoup de femmes menées par Louise Michel – et les gardes nationaux.
Les soldats pactisent alors avec les insurgés parisiens. Et malgré l’intervention de Clemenceau, maire du 18e arrondissement, le général Lecomte, qui avait ordonné de tirer sur la foule, et le général Thomas, à qui l’on reproche d’avoir participé à la répression de juin 1848, sont fusillés. Un peu partout dans différents quartiers, des barricades s’élèvent et de nombreux soldats fraternisent avec les Parisiens.
Thiers, de peur d’être fait prisonnier, décide alors de quitter la capitale pour Versailles. Environ 100 000 Parisiens le suivront, ainsi que la majorité des fonctionnaires. C’est le vrai début de la Commune de 72 jours…
Le comité central de la Garde nationale siège, lui, à l’Hôtel de Ville et décide d’organiser des élections dans la capitale. Il est soutenu par de nombreux clubs. Les élections ont lieu le 26 mars 1871. On compte environ 230 000 votants sur les 485 000 inscrits (soit environ 52 % d’abstention, notamment du fait du départ de nombreux Parisiens).
Dès le 28 mars, le nouveau Conseil vote la Commune en référence à la Commune insurrectionnelle qui mis fin à la monarchie le 10 août 1792.

Une majorité et une minorité

Sur les 92 membres élus du Conseil municipal, environ une vingtaine appartenant au "parti des Maires" (modérés) refusent de siéger. lls ont été essentiellement élus par les habitants du centre et de l’ouest parisien. Les 70 restants appartiennent à des tendances républicaines et socialistes très diverses : les révolutionnaires (notamment les blanquistes) et les jacobins qui formeront une « majorité » ; et du côté de la « minorité », des militants ouvriers de tendance marxiste ou anarchiste qui veulent davantage mettre l’accent sur les questions sociales.
On retrouve aussi quelques indépendants, tel le peintre Gustave Courbet. Parmi les élus, 33 sont des artisans et petits commerçants, 24 sont issus de professions libérales ou intellectuelles (journalistes, architectes, médecins, etc.) et 6 sont ouvriers.
Si « majorité » et « minorité » vont vite s’opposer sur le mode de gouvernement notamment, tous seront unis face à l’offensive versaillaise, qui va très vite se préciser…

Pour en savoir plus

Le site des Archives de Paris commémore depuis l'an dernier les 150 ans de la guerre franco-prussienne et cette année l'anniversaire de la Commune. Retrouvez les nombreux documents et publications sur le site.