La Commune de Paris est écrasée durant la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871, pendant laquelle près de 20 000 Communards trouvent la mort. Les survivants sont souvent déportés. Une loi d’amnistie est votée en 1880. La Commune entre dans l'histoire et y laisse sa trace. Dernier épisode de notre série.
Quand
Charles Delescluze
devient le 11 mai 1871 délégué à la Guerre de la Commune, il ne sait pas qu’il
ne lui reste que quatorze jours à vivre. Il tombera sous les balles le 25 mai 1871 au
cinquième jour de ce qui deviendra dans l’histoire « la Semaine
sanglante ». Nom donné à ces sept jours de larmes et de sang, du 21 au 28
mai, nécessaires aux Versaillais pour reconquérir Paris et mettre à bas
l’expérience communale.
Dès la fin mars 1871,
alors que la Commune balbutie ses premières mesures politiques et sociales, le chef du pouvoir exécutif légitime,
Adolphe Thiers, se
prépare à mater la révolte parisienne depuis Versailles. Jusqu’à la mi-mai, des combats sporadiques se déroulent dans diverses villes de banlieue (Issy-les-Moulineaux,
Clamart, Neuilly notamment) où les Fédérés de la Commune perdent progressivement
pied.
Il faut dire que le
rapport de force militaire penche très fortement en faveur des Versaillais. Si
la convention d’armistice signée avec les Allemands n’autorise que 40 000
soldats français en région parisienne, le chancelier allemand Bismarck, soucieux
de désarmer Paris, libère 60 000 prisonniers qui viennent grossir les rangs de l’armée
de Thiers installée au camp de Satory, non loin de Versailles. Résultat, à la
veille de la Semaine sanglante, les Versaillais disposent de 130 000
soldats bien armés, commandés par… le vaincu de Sedan, le maréchal de Mac Mahon.
En face, les Communards peuvent
théoriquement aligner les 170 000 membres de la Garde nationale. Mais, en
vérité, selon un relatif consensus des historiens, seuls entre 20 000 et 30 000 hommes
sont réellement actifs. Les autres sont trop inexpérimentés, voire indisciplinés
ou peu motivés pour se battre. A quelques notables exceptions près, tels
Dombrowski et
Louis Rossel, ils souffrent aussi d’un commandement pas
réellement à la hauteur.
L’étau se resserre
progressivement autour de Paris avec la prise par les Versaillais des forts
installés en banlieue. D'ailleurs, devant la menace,
un Comité de salut public a pris le pouvoir le 1
er mai au sein du Conseil de la Commune, au grand dam de certains de ses membres. Le 8 mai, l’enceinte fortifiée de la capitale est fortement bombardée entre Grenelle et Passy. Ce même jour, Thiers adresse une
sorte d’ultimatum aux Parisiens en leur demandant de « s’affranchir »
eux-mêmes des autorités de la Commune… faute de quoi l’armée passera à l’action.
Nous
avons écouté toutes les délégations qui nous ont été envoyées, et pas une ne
nous a offert une condition qui ne fût l'abaissement de la souveraineté
nationale devant la révolte. (…) Le gouvernement qui vous parle aurait désiré
que vous puissiez vous affranchir vous-mêmes… Puisque vous ne le pouvez pas, il
faut bien qu'il s'en charge, et c'est pour cela qu'il a réuni une armée sous
vos murs… (…) Si vous n'agissez pas, le gouvernement sera obligé de prendre,
pour vous délivrer, les moyens les plus prompts et les plus sûrs. Il le doit à
vous, mais il le doit surtout à la France.
Adolphe Thiers
Chef du pouvoir exécutif
La
« Semaine sanglante »
Et, de
fait, les Versaillais passent à l’action. Le 21 mai, à la suite d’une trahison
dans les rangs des Communards, ils entrent dans la capitale via le quartier de
Boulogne dénommé « Le point du jour », près de la Porte de Saint-Cloud. La « Semaine
sanglante » commence.
Alors que les premières lignes versaillaises tentent
d’avancer vers le centre de Paris, derrière, les « liquidateurs »
massacrent les suspects, hommes, femmes et enfants. Une vingtaine de
« cours prévôtales » jugent sommairement les prisonniers et les font
fusiller. Ce sera notamment le cas aux
Batignolles ou encore devant le Panthéon. En représailles, les Communards prennent en
otages les Dominicains d’Arcueil qui seront exécutés.
Les 22 et
23 mai, les Versaillais avancent lentement mais inexorablement, emportant l’une
après l’autre les quelque 900 barricades montées par les Fédérés qui se
battent âprement. La quasi totalité de la rive gauche est reprise, à
l’exception de la Butte-aux-Cailles (13e) qui résiste. Les
Versaillais atteignent la Concorde et le faubourg Montmartre. Le Palais de
l’Elysée est repris dès le 22 au soir.
Les grands incendies de monuments de
Paris débutent (voir ci-dessous), mais des immeubles d’habitations brûlent
aussi, notamment sur la rive gauche rue de Lille et près de Saint-Sulpice. Le 24 mai, les
Versaillais occupent le Palais-Royal et le Louvre. Le Quartier latin est pris le soir et les quelque 700 Fédérés qui le défendaient sont exécutés rue Saint-Jacques.
L’archevêque de Paris, Monseigneur Georges Darboy, et cinq autres otages
sont fusillés par les Communards à la prison de la Roquette dans le 11
e
arrondissement. Les Fédérés sont acculés dans les quartiers de l’Est parisien,
même si certains îlots de résistance tiennent encore dans le 5
e et
le 13
e.
Charles Delescluze, délégué à la guerre, est tué le 25 mai
près de Château-d’Eau…
Le 26 mai,
c’est l’épisode de la rue d’Haxo : 52 personnes, dont 11 prêtres, détenues à la prison de la Roquette sont fusillées
par les Communards. Au total, durant toute la semaine sanglante, environ une centaine d’otages seront exécutés par les Fédérés.
Le 27 mai, la fin est proche. Les Communards ne tiennent plus que le nord-est parisien. Les combats sont atroces, notamment au cimetière du Père Lachaise où environ 200 Communards sont réfugiés. On se bat à l’arme blanche
entre les tombes. 147 Fédérés seront fusillés le dos au mur qui porte
maintenant leur nom et qui est devenu le lieu emblématique pour la célébration
de la Commune.
Enfin, le 28 mai, c’est la fin. Les dernières barricades
de Belleville tombent. Les Versaillais « nettoient » le quartier !
Eugène Varlin, célèbre militant socialiste,
membre de « la première internationale », est exécuté.
Un lourd bilan
Humainement,
le bilan de la Semaine sanglante est désastreux. Il n’y a pas de
réel consensus parmi les historiens pour chiffrer le nombre exact des morts
mais, globalement, on estime qu’entre 3 000 et 5 000 fédérés sont morts au combat
et qu’environ 20 000 autres ont été massacrés. Par exemple, en 1897, un
charnier de 800 communards est retrouvé dans le quartier de Charonne. Bien
souvent, les exécutions avaient lieu à la mitrailleuse…
En comparaison, du côté
des Versaillais, il y aurait eu entre 500 et 800 tués et 5 000 blessés.
Mais après les
exécutions immédiates il y a eu les arrestations et les déportations de Communards.
Au total, environ 43 000 personnes (hommes, femmes et enfants) sont arrêtées. Elles
ont été internées
au camp de Satory dans des conditions sanitaires effroyables. Des épidémies
se développent et des dizaines de détenus sont abattus pour tentative
d’évasion. Plusieurs milliers de ces prisonniers sont envoyés dans les ports de
l’ouest (Brest, Cherbourg, etc.) où ils sont parfois internés sur des bateaux… Bref,
la répression est féroce.
Déportations et amnistie
Surtout qu’à
tout cela s’ajoutent les sanctions judiciaires. Le 22 mars 1872 est votée une
loi autorisant le transport en Nouvelle-Calédonie des Communards condamnés aux
travaux forcés. Vingt convois se succéderont entre la France et l’île entre
1872 et 1878, avec un total d’environ 3 800 déportés… dont Louise Michel. Au
total, après la Commune, selon
un rapport du général Appert, on dénombre 46 835
individus jugés dont 23 727 non-lieux, 10 137 condamnations, 3 313
condamnations par contumace, 2 445 acquittements et… 7 213 « refus
d’informer ». Sur les 95 condamnations à mort, 25 seront effectives, dont
Louis Rossel. On estime également que près de 6 000 Communards ont réussi
à fuir à l’étranger, notamment en Suisse, en Belgique et en Grande-Bretagne.
Les
grands incendies de monuments parisiens
De célèbres monuments de Paris mais aussi des immeubles d’habitations
ont été détruits durant la Semaine sanglante. Soit parce que les Communards ont
allumé des foyers d’incendie en représailles ou pour retarder l’avancée des
Versaillais, soit du fait des
bombardements, notamment sur la rive gauche. Le palais des Tuileries, le palais
de Justice gothique, l'Hôtel de Ville hérité de la Renaissance, le Palais-Royal
et le palais d'Orsay (où siégeait alors la Cour des Comptes) sont au nombre des
monuments les plus emblématiques partis en fumée.
L’Hôtel de Ville avait été
achevé en 1628 sous le règne de Louis XIII. Des Communards l'ont incendié le 24
mai. Il contenait les archives et la bibliothèque de la ville… parties en
fumée.
Il en va de même des deux collections de l’état civil parisien antérieur
à 1860. La première était archivée au sein de l’Hôtel de Ville, la deuxième au
sein du palais de Justice. Après la Commune, l’Hôtel de Ville a été entièrement
reconstruit entre 1874 et 1882. Ce ne sera pas le cas du palais des Tuileries… à jamais disparu.
D'autres monuments ont échappé de peu aux flammes. Il en va ainsi des
Archives nationales, sauvées par le Communard
Louis- Guillaume Debock ; du
Louvre, de de la Sainte-Chapelle, déjà arrosée de pétrole, de Notre-Dame
où un début d’incendie fût éteint par des internes de l’hôpital de l’Hôtel Dieu, installé à côté de la cathédrale…
La postérité de la Commune
Incontestablement, malgré sa brièveté, la Commune a laissé une trace
dans l’histoire, notamment dans celle du mouvement ouvrier.
Le philosophe Karl Marx - qui a
rédigé l’ouvrage « La guerre civile en France », à propos de l’épisode
communard - a maintes fois évolué dans
son appréciation de la Commune. Avant son déclenchement, il n’y croyait pas,
demandant aux ouvriers de mieux se préparer au préalable. Puis il sembla se
rallier et se montra admiratif devant le courage des insurgés… avant
in fine de
modérer l’aspect « socialiste » de la révolte.
« Outre qu'elle fut simplement la rébellion d'une ville
dans des circonstances exceptionnelles, la majorité de la Commune n'était
nullement socialiste et ne pouvait pas l'être. Avec un tout petit peu de bon
sens, elle eût pu cependant obtenir de Versailles un compromis favorable à
toute la masse du peuple, ce qui était la seule chose possible alors. À elle
seule, la réquisition de la Banque de France eût mis un terme décisif aux
fanfaronnades versaillaises ».
Karl Marx
Même si elle n’était pas « marxiste », la Commune a
cependant influencé certains événements du XXe siècle ; la révolution russe de
1917, la République espagnole, voire la Chine communiste de Mao.
En tout état de cause, la Commune est inscrite dans la mémoire
du mouvement ouvrier. En 1936, peu après la victoire du Front populaire, un immense
cortège est monté au Mur des Fédérés au Père-Lachaise pour rendre hommage aux
Communards. Une tradition du recueillement qui perdure encore aujourd’hui.
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