Les 150 ans de la Commune : les racines de réformes audacieuses (4/5)
Série
Mise à jour le 29/03/2021
Sommaire
Séparation de l'Eglise et de l'Etat, enseignement laïque, début d'instauration de la journée de 10 heures de travail, égalité femmes/hommes, prémices de l'autogestion, etc. En quelques semaines, la Commune a lancé un train de réformes inédites pour l'époque. Certaines, plus tard, sont devenues l'alpha et l'omega de la République.
72 jours, c’est court… surtout quand les sept derniers
ont donné lieu à une bataille sanglante dans les rues de Paris, raccourcissant
d’autant la période inventive et créatrice de la Commune. Quoi qu’il en soit,
durant ce laps de temps, les Communards ont jeté les bases de
grandes réformes très audacieuses pour l'époque dans de nombreux domaines : politique, social, sociétal,
justice, etc. Dans son programme daté du 19 avril 1871, le Conseil de la Commune déclare : « La
Révolution communale, commencée par l'initiative populaire du 18 mars, inaugure
une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique (…). »
Certes, tout a été
balayé le 28 mai 1871 lorsque les Versaillais ont repris la
capitale. Mais, à plus ou moins long terme, une partie au moins de l’œuvre de
la Commune entrera légalement dans les faits. On songe à la séparation de
l’église et de l’Etat (loi de décembre 1905) ou, chronologiquement plus proche
de la Commune, à l’instruction laïque, gratuite et obligatoire pour les enfants
des deux sexes (loi de mars 1882) ou encore, bien plus tard, au principe
d’égalité entre les femmes et les hommes (Constitution de 1946 puis loi de
1972). Tour d’horizon des réformes initiées par la Commune.
Des réformes pour améliorer le quotidien
Le conseil de la Commune issu des élections
du 26 mars 1871 commence par régler les problèmes les plus urgents pour les
Parisiens. Ce sont bien souvent les questions qui ont engendré la révolte.
Ainsi, dès le 29 mars, un décret dispense du paiement des loyers entre octobre
1870 et avril 1871. Auparavant, seul un simple moratoire avait été édicté, et
Thiers l’avait même supprimé.
Les poursuites concernant les échéances non
payées sont suspendues. Mieux, un délai de trois ans est instauré pour le
paiement des dettes. Autant de mesures destinées à soulager les classes
populaires parisiennes qui avaient énormément souffert du siège de Paris par
les Prussiens.
La solidarité n’est pas oubliée, avec la décision de verser des pensions
aux blessés et veuves de guerre (épouses des gardes nationaux tués pendant le
siège de Paris par les Prussiens). Novateur, un décret réquisitionne même des
logements vacants pour les sinistrés des bombardements durant le siège. Bref,
les autorités parent au plus pressé et aux difficultés de la vie quotidienne.
L’importance des questions sociales
Vingt-cinq ouvriers ont été élus au conseil de la Commune lors des élections du 26 mars 1871. Ils sont certes
sociologiquement et politiquement minoritaires, mais leur influence sera grande sur les réformes
sociales. Parmi eux, on trouve des « militants », notamment
marxistes, tel Léo Frankel, délégué de la commission Travail de
la Commune et membre de l’Association internationale des travailleurs (AIT,
souvent appelée « Première internationale », créée à Londres en 1864)
mais aussi des anarchistes.
Un décret du 20 avril interdit le travail de nuit dans
les boulangeries et la journée de travail limitée à 10 heures commence à être
instituée dans certains ateliers. Pour trouver un travail, les bureaux de
placement privés - souvent qualifiés de « négriers » - sont remplacés
par des bureaux municipaux, via des registres des offres et demandes d’emplois
installés dans chaque mairie. La Commune interdit aussi les amendes patronales
et retenues sur salaire dans les entreprises… et les administrations publiques. Pratiques alors très répandues, notamment dans les compagnies de chemin de fer.
Autre nouveauté pour l’époque, afin de lutter contre les
trop bas salaires (on parlerait aujourd'hui d'« éviter le dumping
social ») dans les appels d’offres
pour des marchés publics, il est institué un cahier des charges avec mention
d’un salaire minimum à respecter.
Les prémices de l'autogestion
C’est donc un embryon de droit du travail,
alors quasi inexistant, que la Commune s’est efforcée de créer. Mais elle est
allée au-delà en tentant aussi d’innover dans l’organisation de l’économie et
notamment de la production.
Avec la fuite à Versailles de beaucoup de
« patrons » ou propriétaires d’entreprises, nombre d’ateliers étaient
à l’arrêt. Un décret du 16 avril confie alors aux chambres syndicales le soin
de répertorier ces ateliers et de les remettre en route. Pour ce faire, il est
prévu de créer des « sociétés ou des associations ouvrières »,
telle celle des « Fondeurs en fer de la rue Saint-Maur ». Une sorte
« d’autogestion » avant l’heure. En effet, dans ces ateliers, un
conseil de direction est élu tous les 15 jours et un ouvrier est chargé de transmettre
les éventuelles réclamations. Il était même prévu de verser une indemnisation
aux anciens propriétaires. Bien entendu, faute de temps, cette expérience de
« propriété collective et associative des moyens de production » n’a
pas être poussée très loin.
Il est à noter que toutes ces mesures
sociales ont été notamment portées et encouragées par "l'Union des femmes",
avec Elisabeth Dmitrieff et Nathalie Le Mel à sa tête, très en pointe auprès de
la commission "Travail" de la Commune, tant le travail des femmes était
profondément exploité. C’est notamment à son initiative qu’une ébauche
d’égalité salariale s’instaure pour les institutrices qui obtiennent le droit
de percevoir la même rémunération que les instituteurs. Une première !
« Nous ne devons pas oublier que la révolution du 18 mars a été faite par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, je ne vois pas la raison d’être de la Commune. »
Délégué de la commission" Travail"
Des transformations politiques et sociétales
Au niveau politique, la Commune est également novatrice. Officiellement, il
n’y a pas de réel gouvernement, au sens entendu jusqu’ici. Le conseil de la Commune
(élu le 26 mars 1871 au suffrage universel) forme en son sein 10 commissions :
exécutive, militaire, subsistances, finances, justice, travail, sûreté,
industrie et échanges, services publics et enseignement. Un membre de la commission
exécutive est « délégué » à la tête des neuf autres commissions. Dans
cette démocratie directe, tous les mandats sont impératifs et révocables (un
élu peut être destitué si une majorité au sein des assemblées populaires estime
qu’il ne remplit pas la mission dont il a la charge). Mais cela va beaucoup
plus loin puisque la Commune décide aussi l’élection au suffrage universel des…
fonctionnaires (y compris les juges).
Dans le domaine sociétal, la Commune est aussi innovante. Ainsi, les enfants légitimés sont considérés comme
reconnus de droit. Le mariage libre (on dirait maintenant l’union libre) par
consentement mutuel est instauré. Les actes notariaux (donation, testaments,
etc.) sont… gratuits et la citoyenneté est ouverte aux étrangers.
La séparation de l’église et de l'Etat… et les exactions
C’est sur la question de l’enseignement et
de la religion que la Commune a laissé son empreinte la plus visible, avec la
séparation de l’église et de l’Etat décrétée le 2 avril. Certes, cette séparation ne vivra que quelques semaines, mais on le
sait, dès 1905 elle deviendra officielle au sein de la République
française.
Les classes populaires parisiennes étaient plutôt hostiles au
catholicisme très lié à l’empereur Napoléon III. Et les théories socialistes
poussent plutôt à l’athéisme. La séparation entre l’église et l’Etat conduit à
ne plus considérer les prêtres comme des fonctionnaires payés par la Nation. En
outre, le budget alloué aux cultes est supprimé et les biens des congrégations
religieuses sont sécularisés (ce qui signifie qu'ils deviennent des biens nationaux). Les crucifix sont retirés des salles de classe.
Épisode douloureux,
l’archevêque de Paris, Monseigneur Georges Darboy est arrêté comme otage. Les Communards veulent l’échanger contre le révolutionnaire Auguste Blanqui
maintenu à résidence forcée en Bretagne par le gouvernement de Thiers. Celui-ci refuse le
marché. L’affaire finira mal. Le 24 mai 1871 en effet, le prélat est fusillé avec
d’autres ecclésiastiques en représailles de l’avance des Versaillais dans Paris et des massacres qu'ils commettent.
Au total, plus d’une vingtaine de religieux seront exécutés et beaucoup
d’autres seront inquiétés. Plusieurs églises seront perquisitionnées et
serviront de lieux de débats et de rencontres publiques.
L'enseignement laïc
Conséquence de la séparation de l’église
et de l’Etat, l’enseignement est laïcisé et l’enseignement confessionnel est
interdit. Edouard Vaillant, le délégué à l’enseignement, réfléchit à une uniformisation
de la formation primaire et professionnelle. Quelques mairies d’arrondissement
(en charge du financement de l’enseignement primaire) rendent même l’école
gratuite. C’est notamment le cas dans le XXe arrondissement. Une commission
composée de femmes est également créée pour « plancher » sur
l’instruction des filles…
Beaucoup de réformes donc, souvent inabouties certes. L'une d'entre elles, emblématique, était même à l'étude: le vote des femmes. Il faudra attendre 1944 pour qu'elle devienne enfin réalité.
Pour en savoir plus
Le site des Archives de Paris commémore depuis l'an dernier les 150 ans de la guerre franco-prussienne et cette année l'anniversaire de la Commune. Retrouvez les nombreux documents et publications sur le site.
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