Place des Fêtes : deux siècles de transformation
Focus
Mise à jour le 12/12/2019
Sommaire
Difficile pour le promeneur qui traverse aujourd’hui la place des Fêtes d’imaginer ce qu’elle fut par le passé. Les rénovations d’après-guerre n’ont laissé que peu de traces de ce quartier longtemps tiraillé entre son origine rurale et son intégration au Paris de style haussmannien.
Belleville sous l’ancien régime
Pour la place des Fêtes, tout commence au sortir de la Révolution. Peuplé d’environ 1500 habitants en 1790, le village de Belleville revêt alors des allures bien champêtres avec ses moulins et quelques châteaux, comme celui de Ménilmontant. Son centre se trouve à l’emplacement de l’actuelle église Saint-Jean-Baptiste. À l’est de celle-ci, la route du Pré-Saint-Gervais se divise en trois voies formant une patte d’oie qui rayonnait vers le nord-est en direction de Romainville et Noisy, du Pré-Saint-Gervais et de la Villette. Et c’est entre ces voies que va s’ouvrir la future place des Fêtes. Au milieu du XVIIIe siècle, on y distingue une première place dont les contours restent incertains. Le Belleville de l’Ancien Régime offrait alors à Paris l’agrément de sa campagne et de ses lieux de détente et de plaisir. Tandis que certains aristocrates y installent leurs villégiatures, ses bals, guinguettes et autres gargotes situés au pied de la colline sont prisés des Parisiens qui profitent de son vin moins cher, car non taxé, quand ils ne fréquentent pas le quartier pour s’y encanailler.
1836, la première place des fêtes voit le jour
C’est après le siège de 1814 que débute la densification urbaine de Belleville qui voit sa population passer de 9 700 habitants en 1831 à 57 700 en 1856. Cet essor économique provoque l’arrivée d’une population laborieuse venue de la campagne. Dans le même temps, des Parisiens modestes expropriés ou effarouchés par les modernisations d’Haussmann quittent la capitale et viennent gonfler la population bellevilloise. Cet apport d’une population modeste d’artisans et d’ouvriers jette la base sociologique de l’identité de la commune et l’amène à s’équiper (un théâtre en 1828, une nouvelle mairie en 1847 et la nouvelle église Saint-JeanBaptiste en 1859). Cette volonté d’équipement explique vraisemblablement la création, en 1836, de la place dite « de la Fête » dans le but d’accueillir les manifestations publiques de la ville. A cette fin, la commune acquiert, en 1835, des terrains de l’Assistance Publique situés le long de l’ancienne route du Pré-Saint-Gervais à quelques centaines de mètres de l’ancienne église. Sur ces terrains se trouvait la Tillaye, source qui fut captée pour alimenter le palais royal de la Tournelle ce qui explique la présence de la lanterne, toujours en place. La place accueillait les réjouissances populaires qui se déroulaient jusqu’alors sur le parvis de l’église ou des rassemblements de la Garde Nationale ainsi que certaines fêtes patronales (marchands forains, manèges, stands de tir, etc.). Cette place de la Fête était «bordée d’une quadruple rangée de tilleuls taillés en berceau» et par quelques bâtiments bas. Ses alentours étaient encore constitués de terrains horticoles et de vignobles.
Le temps de l’aménagement
En 1860, au moment de l’annexion des communes limitrophes, Paris présente de nombreuses emprises industrielles. Le besoin de main-d’œuvre et la montée des prix des terrains - et donc des loyers - du fait de la spéculation haussmannienne ont pour conséquence l’augmentation sensible du nombre d’ouvriers à Belleville, où les prix sont restés abordables. La place de la Fête connait en 1861 sa première transformation. Afin d’intégrer les faubourgs au Paris nouvellement étendu, les services de la préfecture y installent un réseau d’équipements : marchés couverts, écoles ou jardins. Ces nouveaux services contribueront à élever au « standard » haussmannien le tissu notoirement sous-équipé des anciens faubourgs, favorisant ainsi leur intégration. La place des Fêtes devient «square de la place des Fêtes», le service des promenades et des plantations donnant à la nouvelle place une forme pentagonale. Au milieu, un square reprenant les codes des aménagements standards de la Ville : kiosque à musique, petit mobilier, dessin à l’anglaise… Des fêtes foraines s’y déroulant, les riverains se plaignent en 1887 du «rugissement des bêtes fauves qui troublaient leur repos nocturne et de l’insalubrité causée par la présence lors de ces fêtes de nombreux animaux domestiques ou sauvages».
Entre les deux guerres, la densification
Après le désastre de la Commune, Belleville se régénère assez vite. Petit à petit, le tissu urbain continue de se densifier par l’apport constant de population dans l’entre-deux guerres : les immeubles de rapport dominent alors que subsiste localement un bâti d’échelle domestique. En conséquence, la place des Fêtes s’entoure d’un front bâti pratiquement continu. Les cartes postales montrent, au premier tiers du XXe siècle, le square sur fond d’un bâti de hauteur modérée de cinq niveaux environ, avec déjà quelques surélévations. Bien que ne possédant plus aucun caractère rural, le paysage y est encore décrit comme « villageois » jusqu’à l’entre-deux-guerres, comme l’écrivain Eugène Dabit le décrit au début du XXe siècle : «La place des Fêtes pourrait être celle d’un bourg, avec ses maisons basses, ses pelouses, ses arbres, malgré l’hôtel Mexico, l’hôtel du Zénith, et la station du métro qui exhale une haleine puante. La rue des Solitaires, la rue des Lilas, la rue du Pré-Saint-Gervais, petites rues calmes, aboutissent ici. On y rencontre des vendeurs ambulants ; des femmes qui traînent des marmots, crient : « Fleurissez-vous, mesdames, c’est vingt sous ! » ou « Lacets, beaux lacets, mes lacets ! » Un Japonais offre des étoffes de soie, des fleurs de papiers, des vases de porcelaine. Des camions de fruits et de légumes arrivent des Halles. Des couleurs vives et des bouquets égaient les rues ; une rumeur grandit. La place des Fêtes ! Les marchands, abrités, costauds, sont contents des affaires. On a touché la paie et les ménagères achètent pour leur homme un extra. »
Ouverte en 1911 au prix de difficultés techniques, la ligne 7B, elle, contribue à définir la géométrie de la place. Les deux édicules d’accès, aujourd’hui d’inspiration Art déco, constituent des repères visuels importants qui polarisent les parcours piétons. Le tracé souterrain va demeurer une donnée technique majeure des interventions ultérieures. Cette séquence de l’histoire de Belleville est également marquée par les importants flux migratoires. Parallèlement aux associations ouvrières qui continuent de prospérer après la Belle époque cette immigration, en vagues successives, génère associations et communautés contribuant à la mixité sociale : juifs ashkénazes au début du siècle, puis Grecs et Arméniens fuyant le génocide de 1915 ou encore Espagnols après 1939.
1956-1975, le choc de la rénovation
Pour apprécier l’ampleur du choc que représente l’opération décidée en 1956, il suffit de rappeler qu’elle se solda vers 1971 par le départ de presque 6 500 habitants, parmi lesquels seuls 200 reviendront habiter sur place. L’opération cherche sa justification dans « l’adaptation des cités aux besoins nouveaux et aux conditions de la vie moderne ». Il s’agit des besoins de logements et de circulation principalement. Un rapport du bureau de la rénovation urbaine de la direction de l’Urbanisme au préfet note qu’à « l’exception de quelques parcelles obstacles dont les constructions sont conservées, presque tous les immeubles de la place des fêtes sont à démolir. » Le conseil municipal délibère sur la scission de l’opération en deux phases le 24 décembre 1962, tandis qu’une enquête publique arrête la liste des démolitions le 24 août 1964. Les principes du style international sont appliqués sans ménagement durant la décennie 1960. Au début des années 1970, la place est totalement transformée avec la construction des tours d’habitation, d’une dalle commerciale à leur pied et d’une extension de la place haussmannienne sur un parc de stationnement souterrain.
Retour vers plus d’humanité
Au début des années 90, le milieu associatif porte auprès de Jacques Chirac la revendication d’une «rénovation de la place rénovée». Le maire demande alors une synthèse préalable des désirs de la population. Réalisée en 1989 et remise à la ville début 1990, cette étude dégage trois objectifs principaux : une meilleure identification de la place des Fêtes, la définition d’un parti d’aménagement qui donne à la place un rôle fédérateur dans le quartier et enfin le soutien du dynamisme économique local. Un réaménagement qui déjà préfigure la transformation que l’on connait aujourd’hui…
Belleville au fil du temps
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