Réforme du stationnement : « 65 % des Parisiens n’ont pas de voiture »

Rencontre

Mise à jour le 06/07/2021

Sébastien Marrec
Sébastien Marrec est chercheur en aménagement et urbanisme à la Ville de Paris. Il revient sur la vaste réforme du stationnement annoncée par la Ville de Paris, qui vise à convertir près de la moitié des places de stationnement en d'autres usages (pistes cyclables, végétalisation, aménagement des trottoirs, etc.).

En quoi cette réforme peut-elle transformer la capitale ?

Sébastien Marrec : L'idée de la réforme du stationnement est de révéler le potentiel de l’espace public parisien pour d'autres usages que ceux liés aux véhicules et de refléter la réalité des déplacements.
197 hectares, soit 8 % de l'espace public, sont occupés par le stationnement motorisé, voiture et deux-roues motorisés (2RM) à Paris. C'est une surface gigantesque. Ces 135 000 places équivalent quasiment à l'ensemble des 17 parcs de Paris (en ne comptant pas les bois de Boulogne et de Vincennes).
Or l’espace est une denrée rare à Paris, 7e ville la plus densément peuplée au monde. Cette réforme inédite en soi va permettre de réinventer 60 hectares qui sont stérilisés, en particulier dans les rues étroites où l’omniprésence du stationnement permettrait l’installation de terrasses, de bancs, le jeu des enfants et la plantation d’arbres. C’est une opportunité inédite pour se projeter dans la ville du quart d’heure promue par le scientifique Carlos Moreno.
Ce choix reflète aussi la prise de conscience que dans une capitale aussi compacte, une si forte occupation de l’espace public pour un usage privatif représente une anomalie, un anachronisme.

65 % des Parisiens n’ont pas de voiture, un chiffre en hausse constante, et la circulation automobile a diminué de moitié depuis la fin des années 1990.

Sébastien Marrec
Chercheur en aménagement et urbanisme à la Ville de Paris
D’autant que 65 % des Parisiens n’ont pas de voiture, un chiffre en hausse constante, et que la circulation automobile a diminué de moitié depuis la fin des années 1990, à mesure que l’espace public était rééquilibré en faveur des piétons, des cyclistes, du bus et du tramway.
La marche, le premier mode de déplacement à Paris et même en Île-de-France, continue de progresser, a fortiori depuis la crise sanitaire. L’usage du vélo a quant à lui connu un essor impressionnant depuis 2018. En 2020, on a comptabilisé 57 % de déplacements à vélo supplémentaires hors périodes de confinement. Sur des axes comme les boulevards Magenta, Voltaire et Sébastopol, il passe plus de vélos que de voitures aux heures de pointe.

En clair, on veut favoriser la pratique de la marche et du vélo ?

Pas seulement ! Outre ce rééquilibrage de l’espace, il est également nécessaire de supprimer du stationnement pour planter massivement afin de lutter contre les îlots de chaleur. Des quartiers entiers sont « carencés » en arbres, essentiels pour atténuer les impacts de la ville au dérèglement climatique.
Si on ne transforme pas les rues en corridors végétaux, la ville va devenir invivable aux périodes chaudes, appelées à être de plus en plus nombreuses et intenses. La suppression du stationnement permet non seulement de récupérer de l’espace pour la végétalisation, au détriment du bitume qui absorbe la chaleur, mais aussi de réduire le trafic par la diminution de l’offre de stationnement sur voirie.
Pour rappel, selon Airparif, les transports représentent 27 % des émissions régionales de gaz à effet de serre, et la voiture particulière compte pour plus de la moitié dans ces émissions.

Concrètement, que va-t-on faire de ces espaces libérés de leur emprise ?

La suppression des places permettra d'élargir les trottoirs, mais aussi de réduire les conflits entre usagers, de planter des arbres, de créer des rues aux écoles, de compléter un réseau cyclable cohérent. Tout un ensemble de programmes que la Ville porte, en parallèle d’un nouveau Code de la rue pour sensibiliser les usagers aux bonnes pratiques.
Une transformation de mobilité et d'urbanisme majeure interviendra dès l’an prochain, avec la mise en zone à trafic limité (ZTL) du centre de Paris, de la place de la Concorde à celle de la Bastille, et du boulevard Saint-Gemain rive gauche aux Grands Boulevards rive droite. Dans ce périmètre où circulent actuellement 180 000 véhicules, les accès seront restreints et la demande de stationnement diminuera fortement.
Les riverains, les personnes à mobilité réduite (PMR), les taxis, les artisans et commerçants pourront continuer à y circuler, comme c’est déjà actuellement le cas rue de Rivoli. Le dispositif devrait permettre de réduire de 40 et 60 % le trafic motorisé selon les rues et les heures de la journée.

La réforme privilégie le stationnement en surface pour les publics prioritaires. L'offre de mobilité pour ces publics n'était-elle pas suffisante ?

Seules 3 % des 300 stations de métro sont accessibles aux personnes en fauteuil roulant. Les bus et les tramways ne desservent pas tous les quartiers et les correspondances ne sont pas toujours aisées.
La voiture est donc indispensable à la plupart des personnes à mobilité réduite et le stationnement qui leur est consacré sera sanctuarisé et renforcé. 1000 nouvelles places PMR sont prévues, ce qui portera leur nombre à 5500. Les places PMR en sous-sol deviendront gratuites.
Rappelons que malgré la suppression de 60 000 places, il en restera plus de 70 000 dans les rues, plus de 140 000 dans les parkings en ouvrage et 520 000 dans les sous-sols des immeubles de logements ou de bureaux. Il y a cinq fois plus de places en souterrain qu’en surface. Il s’agit aussi d’assurer une meilleure cohérence tarifaire entre le stationnement en surface et les parkings souterrains pour optimiser l’usage de ces derniers.

Quid des professionnels ?

Les livreurs ont besoin d’une forte rotation des véhicules sur les places pour y accéder plus facilement. La réforme permettra de revoir les places en termes de maillage, de dimensions, d’équipement, de normes d’accessibilité. À plus long terme, il est prévu de permettre via une application à tous ceux qui ont vraiment besoin de stationnement au quotidien de connaitre en temps réel l’offre et la disponibilité des places.
Les véhicules partagés, peu consommateurs d’espaces (1 voiture partagée remplace en moyenne 8 véhicules particuliers) verront aussi leur stationnement sur voirie être maintenu pour davantage de visibilité. Une offre plus lisible, des incitations tarifaires et leur mise en accessibilité favoriseront leur usage.

Ailleurs dans le monde, le stationnement est-il moins cher qu’à Paris ?

Non. En réalité, c'est Paris qui est une exception, tant le stationnement y est peu cher depuis longtemps. Surtout si l'on s’amuse à comparer le coût du stationnement pour l’usager par rapport à la valeur locative parisienne au m².
Pour un usage de courte durée, le coût du stationnement est plus avantageux dans la rue que dans les parkings souterrains, à l’inverse d’autres villes en France et ailleurs. Les tarifs sont globalement bien moindres que dans d’autres capitales européennes : 2,4 à 4,4 € l’heure à Paris contre 4,8 € à Madrid, 7,65 € à Stockholm et 8 € à Londres. Le tarif mensuel unique du stationnement sur voirie à Paris, 50 € par mois, reste en moyenne trois fois inférieur aux prix pratiqués en sous-sol.
Rien d’étonnant donc à ce que les Parisiens privilégient dans leur majorité le stationnement sur voirie, malgré l’offre abondante en sous-sols, qui se retrouve sous-utilisée. C’est pour cela que les tarifs augmentent à partir du 1er août pour les visiteurs uniquement : le tarif passe de 4 à 6 € l’heure dans les arrondissements centraux et de 2,4 à 4 € l’heure dans les arrondissements périphériques. Les forfaits post-stationnement vont également augmenter.

Plusieurs grandes villes ont déjà rendu payant le stationnement des 2RM : Tokyo, Taipei, New York, San Francisco, Londres…

Sébastien Marrec
CHERCHEUR EN AMÉNAGEMENT ET URBANISME À LA VILLE DE PARIS
L’application de disponibilité en temps réel, qui permet la préréservation, et une signalétique repensée, plus explicite, redonneront prochainement de la visibilité aux parkings en ouvrage. Plusieurs grandes villes ont déjà rendu payant le stationnement des 2RM : Tokyo, Taipei, New York, San Francisco… À Londres, dans la Cité de Westminster, les conducteurs de 2RM peuvent se garer dans des emplacements dédiés pour 1 livre par jour, ou 100 livres par an (116 euros).
La mesure a été mise en place en 2008, après la création du péage urbain et l’afflux de 2RM qui a suivi. En France, les villes de première couronne Vincennes et Charenton-le-Pont font figure de pionnières depuis avril 2018, avec de bons résultats : les deux-roues motorisés ventouses se sont évaporés et les trottoirs ont été libérés.
La nouvelle politique de stationnement prendra en compte la différence d'occupation d'espace entre la voiture et le 2RM. Leurs conducteurs ne paieront que la moitié de ce que payent les automobilistes.

Pourquoi la voiture a-t-elle historiquement une place aussi importante à Paris ?

La voiture n’a jamais été le mode majoritaire à Paris, même à l’époque où les pouvoirs publics ont concentré leurs efforts pour l’adapter à l’automobile. La marche est toujours restée le principal mode de déplacement, devant les transports en commun. Mais si l’espace public a fini par être considéré comme gratuit, accaparable par les automobilistes pendant des décennies, c’est parce que la voiture était jugée moderne, pratique, incontournable, et que les piétons et les cyclistes, rangés dans la catégorie des obstacles à la circulation, devaient leur laisser la place.
Jusque dans les années 1980, l'espace public parisien était saturé de voitures. Les places étaient soit d'immenses carrefours, soit d'immenses parkings à ciel ouvert, parfois un mélange des deux. Il y avait du stationnement sur les berges de Seine, le long du canal de la Villette, sur toutes les places (Vendôme, Hôtel de Ville, Concorde, Bastille) et même devant Notre-Dame. Afin de soulager la voirie et dégager les places et les édifices de la présence automobile, des dizaines de parkings souterrains ont été ouverts à partir de 1964, en plus d’immeubles à voitures. Par la suite, dès les années 1980, une armée de potelets et de barrières a été installée pour juguler le stationnement sauvage envahissant.
Depuis vingt ans, les deux-roues, plus pratiques, plus économes en espace, ont à leur tour envahi les rues : les potelets ne les empêchent pas de rouler et de se garer sur les trottoirs et ils ont profité des abaissements des bordures de trottoirs prévus pour l'accessibilité des personnes en situation de handicap. Il apparaît de plus en plus que les 2RM, dans un espace urbain dense, ne sont pas davantage que la voiture une solution de déplacements de masse. Même s’ils prennent moins d’espace, leur augmentation a multiplié aussi leurs nuisances disproportionnées qui affectent l’ensemble de la population.

Quelle place pourraient avoir la voiture individuelle et les 2RM dans la ville de demain ?

Une place résiduelle, avant tout pour les personnes qui n’ont vraiment pas d’autre choix que de conduire un véhicule motorisé, en particulier dans les villes déjà denses ou qui se densifient. La voiture n’a aucune raison d’être prépondérante comme elle l’est aujourd’hui, au regard des enjeux de ce siècle et de la recherche de qualité de vie.
Les contraintes budgétaires, à chaque crise, rappellent aussi opportunément qu’investir pour encourager la marche, le vélo et dans une moindre mesure les transports publics coûte infiniment moins cher qu’investir pour la voiture. Des finances contraintes peuvent ainsi favoriser un système de déplacements plus sobre.

Un cycliste utilise environ quinze fois moins d’espace qu’un automobiliste en circulation et en stationnement.

Sébastien Marrec
CHERCHEUR EN AMÉNAGEMENT ET URBANISME À LA VILLE DE PARIS
Un nombre croissant d’élus prennent conscience qu’un cycliste utilise environ quinze fois moins d’espace qu’un automobiliste en circulation et en stationnement, chiffre calculé par l’économiste et urbaniste Frédéric Héran. Et qu’en zone dense, il ne sert à rien de redonner de l’espace à la voiture, qui prend tout l’espace qu’on lui attribue et finit inévitablement par subir la congestion. Un quart du temps de conduite d’un automobiliste en ville est consacré à chercher un stationnement ! L’inverse est de mieux en mieux connu et observé : quand on réduit la capacité de la voirie, le trafic motorisé s’évapore en partie.
Malgré leurs nombreuses nuisances, ils bénéficient d'un laxisme depuis leur diffusion massive, dans la période d'après-guerre, période où ils sont devenus un phénomène de société. Certains modèles thermiques sont particulièrement bruyants et gâchent la vie des riverains au point qu’un collectif baptisé « Ras le Scoot » s’est créé pour alerter les pouvoirs publics sur les incivilités générées par les usagers des 2RM.
L’association Bruitparif, qui évalue l'environnement sonore en Île-de-France, a montré qu'un deux-roues traversant Paris la nuit peut réveiller 350 personnes, et jusqu’à 11 000 si le pot d'échappement n'est pas homologué.