Rencontre avec le créateur du Monument virtuel des Parisiens morts lors de la Grande Guerre
Rencontre
Mise à jour le 26/10/2018
Jean-Louis Robert, historien français, est à l'origine du recensement des 94 415 Parisiens morts lors de la Première Guerre mondiale. Il est aussi, avec le soutien de la Ville de Paris, le créateur d'un monument virtuel, accessible en ligne, en leur mémoire. Interview.
Le 11 novembre 1918, la Première Guerre mondiale prend fin avec la signature de l’Armistice. Les édiles des communes de France commandent la création de monuments aux morts – près de 30 000 seront édifiés entre 1918 et 1925. Mais Paris ne suit pas, alors que sur les 500 000 soldats parisiens partis au front, 94 415 ne revinrent pas.
En 2016 est inauguré le Monument virtuel des 94 415 Parisiens morts pour la France. À l’origine de cette création : Jean-Louis Robert, historien, alors directeur du Centre d'histoire sociale du XXe siècle de l'université Paris 1 Sorbonne. Une première réponse à l’absence à ce moment-là, d’un Monument dans Paris.
Pourquoi Paris n’a-t-il pas, à l’époque, fait édifier un tel monument ?
Jean-Louis Robert : En réalité, il y avait à Paris une forme de monument aux morts avec la flamme du Soldat inconnu de la place de l’Étoile. Mais c’était le lieu de la nation, plus que le lieu de Paris. Il y a eu des plaques, des stèles ou des sculptures au sein des établissements scolaires, des entreprises ou édifices religieux. Il y a eu aussi des monuments aux morts dans les mairies d’arrondissements, mais ce qui caractérisait ces monuments c’est qu’il n’y avait pas la liste des noms. À part dans le 7e arrondissement à l’entrée de la mairie, où il y a un monument avec les noms des morts de l’arrondissement. C’est la seule exception. Alors pourquoi Paris n’a pas fait de monument global ? La raison on la connaît, elle a été essentiellement financière. Comme il y avait presque 100 000 noms à inscrire, le conseil municipal à l’époque y a renoncé. Ce qui a créé cette situation. En revanche, dans chaque mairie il y a eu, dans les années 1920, un livre d’or avec les noms des disparus, mais ils sont en général assez peu accessibles.
C’est à partir de ces sources que vous avez pu recenser tous les noms, et que vous avez eu l’idée de créer un monument virtuel accessible en ligne ?
Jean-Louis Robert : Oui, exactement. À partir du moment où il a été décidé de recenser tous les noms des Parisiens morts, nous avons utilisé ces bases. J’ai travaillé avec des étudiants de licence de mon université. Nous avons rassemblé près de 95 000 noms. Nous avons récolté aussi toutes les informations qui figurent sur ces livres d’or ; le régiment, le lieu et la date du décès. Ensuite nous avons repéré tous ces noms dans le Mémorial des morts pour la France qui se trouve à Caen et qui est aussi informatisé. Nous avons ainsi pu faire des croisements. Pour les morts du 2e arrondissement où le livre d’or a été perdu, il a fallu aller dans les services d’état civil. C’est le Comité d’histoire de la Ville qui s’en est chargé. Nous en sommes exactement à 94 415 noms. Mais on peut penser qu’il en manque. Une précision importante : le principe est de recenser les résidents à Paris, au moment de leur incorporation. C’est la vraie notion des Parisiens, c’est-à-dire ceux qui habitent Paris. La base s’enrichit encore aujourd’hui. Car par exemple, pour un Parisien dont les parents étaient en province, l’avis de décès a pu arriver chez eux.
L’idée de ce monument virtuel c’est votre initiative ?
Jean-Louis Robert : Oui c’est mon idée, mais c’est la Ville de Paris qui a soutenu et financé tout le projet et les recherches des étudiants notamment. Chaque étudiant a fait un dossier dans chaque mairie. Nous avons alors pu tout inscrire sur un site informatisé et accessible en ligne. Mais il a fallu pas moins de trois ou quatre ans pour tout recenser. L’écriture très spécifique de l’époque, les erreurs sur les noms propres ou sur les dates du décès rendaient le travail très minutieux. Moi cela m’a pris deux ans de travail à plein temps. Et cela a enfin vu le jour en 2016.
Que pensez-vous de cette forme virtuelle de Monument aux morts ?
Jean-Louis Robert : C’est très moderne et cela permet l’accessibilité à chacun. Cela donne aussi beaucoup d’autres renseignements. Car nous avons lié chaque nom à la fiche du soldat qui est sur Mémoire des Hommes. Mais évidemment cela n’a pas la force symbolique que pourra avoir le Monument physique. Toutes les personnes qui vont dans les villages et voient les noms inscrits sur les Monuments sont impressionnées.
Qu’est-ce qui vous a motivé pour faire ce recensement et le rendre visible à tous avec cet outil ?
Jean-Louis Robert : C’est une combinaison de plusieurs facteurs, je dirais. En tant qu’historien, je suis un spécialiste de la guerre de 14. Je suis spécialisé dans l’histoire sociale et dans l’histoire de Paris. C’est en travaillant avec des étudiants que l'on s’est rendu compte de cette absence. Après, au niveau personnel c’est un hommage à mon grand-père qui a été combattant de cette guerre. Je me souviens, quand j’étais enfant, j’essayais de le faire parler de ce qu’il avait vécu là-bas. Il était artilleur, c’était moins dur que d’être fantassin, mais il a été blessé plusieurs fois au combat. Il n’a jamais souhaité en parler. Je n’ai jamais réussi à lui faire évoquer ses souvenirs. Même trente ans après, il gardait le silence…
Ce monument virtuel, c’était dans un objectif de mémoire ?
Jean-Louis Robert : Oui très certainement, mais c’était aussi un objectif historique avec comme enjeu l’image de Paris. Car, il courait un certain nombre de rumeurs qui s’étaient d’ailleurs créées pendant la Première Guerre elle-même. Ces rumeurs n’ont pas été forcément reprises par les historiens, mais elles n’étaient pas très contrées non plus : on disait que Paris avait été une ville d’embusqués, que les campagnes avaient tout donné, alors qu’à Paris beaucoup s’étaient planqués, qui dans un état-major, qui dans un ministère, qui dans une usine, etc. Dans l’histoire sociale de la guerre, c’était intéressant de voir ce qu’il en était vraiment. Finalement, il est apparu que la mortalité parisienne n’a été nullement inférieure à la mortalité des campagnes et que Paris a autant donné. On a d’ailleurs pu constater que les Parisiens ont plus donné durant la guerre de mouvement des trois quatre premiers mois. Du fait de la proximité du front et des casernes parisiennes proches, la mobilisation a été plus rapide et les régiments qui se sont formés à Paris sont ceux qui sont montés en premier, avec les Lorrains et les gens du Nord. Et les premières batailles ont été horribles, car elles étaient à découvert et elles ont été extrêmement mortelles.
Est-ce que la jeune génération peut être touchée par ce monument ?
Jean-Louis Robert : Je pense qu’il y a eu beaucoup d’émissions, de documentaires, de livres. Il y a aussi beaucoup de films. Malheureusement une guerre c’est spectaculaire, c’est un objet filmographique intéressant pour les réalisateurs. Après je ne sais pas quel écho cela a sur les jeunes. Mais ce monument virtuel et bientôt le monument physique sur l’enceinte du Père-Lachaise qui sera dévoilé le 11 novembre 2018 peuvent avoir du sens pour eux. Lire près de 95 000 noms sur un monument c'est se rendre compte de l’ampleur du sacrifice. Cela a un impact sur l’affect des personnes, sur leur sensibilité. Ces monuments sont à la mémoire des hommes morts pour la France, bien sûr. Mais je pense que le sens de ces monuments c’est d’abord de comprendre l’importance de la paix. Pour moi c’est un monument pour la paix plus qu’un monument sur l’héroïsme de la guerre.
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