Zahia Ziouani, cheffe d’orchestre : « J’ai vite compris qu’il me faudrait créer mes propres opportunités »

Rencontre

Mise à jour le 03/03/2025

Portrait de femme debout tenant un bâton de chef d'orchestre
On lui avait dit qu’elle ne pourrait jamais devenir cheffe d’orchestre… Et pourtant ! Depuis plus de vingt-cinq ans, cette Parisienne de naissance dirige l’orchestre Divertimento, qu’elle a créé en 1998.

Comment êtes-vous devenue cheffe d’orchestre ?

Enfant de Pantin (Seine-Saint-Denis) et vivant à quelques centaines de mètres de la Cité de la musique (19e), j’écoutais Beethoven, Mozart et les grands opéras avec mon père. Comme je voulais vivre de cette musique, j’ai commencé par apprendre l’alto et j’ai tout de suite aimé l’univers de l’orchestre. Mais j’avais du mal à me projeter comme cheffe d’orchestre : je ne voyais dans ce rôle que des hommes, européens et plutôt âgés.
Puis, il y a eu une rencontre décisive avec le grand chef d’orchestre Sergiu Celibidache, qui m’a repérée et m’a intégrée dans sa classe. Il m’a prévenue que ce serait difficile pour une femme de faire ce métier. Mais plus on me disait que ce n’était pas fait pour moi, plus cela devenait un challenge ! Et j’ai vite compris qu’il me faudrait créer mes propres opportunités. J’ai donc fondé mon orchestre : Divertimento, né en 1998 à Stains (Seine-Saint-Denis), qui réunit 70 musiciens et qui se produit dans le monde entier.

Et vous avez réussi à vous faire une place dans ce milieu masculin…

Le chef d’orchestre représente l’autorité. En soi, c’est un métier exigeant pour tout le monde, homme ou femme. Il y a néanmoins des idées reçues : on m’a par exemple soutenu que je ne pourrais pas assurer des tournées si je devenais mère. Ma fille a 9 ans !

Le plus grand obstacle que j’ai rencontré n’était pas celui d’être une femme, c’était d’être jeune et issue d’un milieu populaire. J’incarnais une singularité.

Zahia Ziouani
directrice musicale de DIvertimento
Reste qu’en France, il y a seulement 4 % de cheffes d’orchestre et une seule femme à la tête d’un orchestre national. Dans la programmation de l’Opéra de Paris, il n’y a pas de cheffe d’orchestre ni de metteuse en scène : c’est dommage de ne pas être exemplaire.
À la Philharmonie de Paris (19e), il y a le concours international des cheffes d’orchestre La Maestra, c’est bien, mais pas suffisant. Alors qu’une charte adoptée en 2018 préconise de favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes au sein des orchestres et des opéras, ce n’est pas respecté.
Quant à moi, je suis sollicitée ici et là comme cheffe invitée, mais ce sera seulement quand nous aurons un pouvoir de décision sur des projets que l’on verra des avancées. Il faut donc une politique engagée : former plus de femmes et leur donner les moyens de diriger des orchestres. Et je parle de moyens financiers aussi : j’ai créé un projet qui a toute sa place, qui est utile et porteur de sens. Pourtant, les financements dont disposent Divertimento n’en sont pas le reflet.

Quelle est l’initiative dont vous êtes la plus fière ?

Avoir atteint mon objectif de faire de Divertimento un orchestre d’excellence. Nous avons fait un concert pendant le relais de la flamme paralympique sur la place des Fêtes (19e), joué devant des millions de téléspectateurs lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques, ouvert la saison de la Philharmonie de Paris
Tout cela, ce sont des signes de reconnaissance. Mais ma fierté va au-delà : c’est d’avoir permis de fédérer autour de la musique classique des diversités sociales, culturelles, intergénérationnelles ou encore de former des jeunes au sein de l’Académie Divertimento.

Vous considérez-vous comme militante féministe ?

Je ne le formule pas ainsi, mais certains disent que oui. En tout cas, l’égalité entre les femmes et les hommes est un sujet qui irrigue mon travail toute l’année, et pas seulement au mois de mars : dans le choix des publics que nous touchons, des jeunes que nous formons, des solistes, des artistes, des metteurs en scène et des compositrices que nous faisons travailler. Sur ce point, il y a encore trop peu de femmes jouées, mais j’y suis attentive. J’encourage d’ailleurs le travail mené par l’Orchestre de chambre de Paris et son Académie des jeunes compositrices.

Il ne faut pas s’interdire des voies sous prétexte qu’elles sont historiquement masculines.

Zahia Ziouani
directrice musicale de DIvertimento
Avec Divertimento, j’œuvre pour que toutes les femmes aient un accès à la pratique culturelle. Nous menons des actions dans les maternités ou les centres sociaux… Il est essentiel que des femmes puissent jouer de la trompette, des timbales… Il ne s’agit pas de discrimination inversée, mais de rattraper des années de retard !
Enfin, je passe beaucoup de temps dans les écoles, les collèges, les lycées et les universités pour tenir un discours auprès des jeunes : tout est possible, il ne faut pas s’interdire des voies sous prétexte qu’elles sont historiquement masculines.
« Divertimento », le film
Comment peut-on accomplir ces rêves si ambitieux quand on est une femme, d’origine algérienne et que l’on vient de Seine-Saint-Denis ? Le parcours de Zahia Ziouani et celui de sa sœur jumelle, Fettouma, violoncelliste professionnelle, est raconté dans un biopic sorti en 2023. Empruntez le DVD de Divertimento dans les bibliothèques de la Ville de Paris.
Tout ce qui concerne l’égalité femme/homme à Paris vous intéresse ?
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