Avec «Les Talents d'Alphonse», le savoir-faire ne part pas à la retraite

Actualité

Mise à jour le 05/02/2018

La plateforme «Les Talents d’Alphonse» met en relation des retraités passionnés et des jeunes curieux pour des échanges autour d’une activité commune.
À Paris, 410 000 personnes ont plus de 60 ans, soit 19% de la population parisienne. Thibault Bastin et Barthélemy Gas, eux, ont 24 ans et ils ont décidé de mettre les seniors au cœur de notre société et de valoriser leurs compétences. En janvier 2016, ils créent «Les Talents d’Alphonse», une plateforme de mise en relation entre retraités passionnés et jeunes curieux, pour des échanges autour d’une activité commune. Explication avec Barthélemy Gas.
C’est en école d’ingénieur en BTP à Lille que Barthélemy, Parisien d’origine, rencontre Thibault, Toulousain. Ils deviennent vite amis. Pour leur année de césure, le premier part aux Philippines, l’autre au Congo puis au Mexique. Chacun, à un bout du monde, est fasciné par le respect et l’entraide accordés aux anciens. Revenus à Paris, Barthélemy et Thibault font le constat que nos aînés ne connaissent pas le même sort en France où ils sont plutôt mis à l’écart. Ils cherchent à les mettre en valeur. Barthélemy explique: «Toute la vie on apprend des choses, à l’école, au travail et puis un jour, ça s’arrête et toute la richesse des retraités disparaît alors qu’ils pourraient continuer à partager un savoir-faire ou une passion et la transmettre à des plus jeunes.»

C’est aussi cette idée qui a motivé le choix du nom des «Alphonse». «On voulait personnaliser et éviter de tomber dans les appellations classiques comme séniors, retraités ou jouer avec le mot «âge». Alphonse, c’est un prénom ancien mais qui revient à la mode et il peut se décliner joliment en Alphonsine. Et puis on a testé auprès d’un focus groupe de retraités et ils l’ont adopté assez rapidement. Et puis cela humanise et donne plus l’idée d’une communauté.» explique Barthélémy.
Avec son ami, ils creusent alors l’idée d’une plateforme de mise en relation de retraités talentueux avec des jeunes «curieux». Les Talents d’Alphonse naîtra quelques mois plus tard, en janvier 2016. «On avait des propositions d’embauche dans notre domaine du BTP mais on a préféré vivre cette aventure et on ne regrette absolument rien» ajoute Barthélémy enthousiaste. Alors comment ça marche? Un retraité a une passion, un savoir-faire ou une compétence particulière: restauration de vieux meubles, bricolage, photographie, mécanique, couture, jardinage ou même musique. Il a envie de la transmettre. Il postule sur le site. Les deux compères le rencontrent et évaluent sa motivation. Il intègre alors le groupe d’Alphonse ou d’Alphonsine. De l’autre côté, ils ont des demandes de curieux: Max veut réparer sa moto, Adeline apprendre à tricoter. Ils cherchent alors le retraité le plus près de chez eux et les mettent en relation. Si le courant passe, ils prennent rendez-vous et commencent l’activité.

Créer des liens intergénérationnels et de proximité

L’Alphonse recevra 15 euros pour sa transmission de savoir. Le paiement se fait en ligne. «Nous prenons une commission de 18%. qui est payée, en plus, par le curieux. C’est un tarif abordable par rapport à un cours particulier. Et c’est plus de l’ordre de l’indemnisation pour les retraités, même si ces derniers sont bien contents d’avoir un complément d’une retraite parfois faible.» Mais l’idée derrière tout cela est surtout de mettre en lien des personnes qui peuvent être voisines mais qui ne se seraient peut- être jamais rencontrées sans cela. En partageant une activité commune, la communication est facilitée et en habitant tout près, peut-être se reverront-ils et échangeront d’autres services ou d’autres liens.

Les gardes éveillées: une nouvelle façon de rapprocher séniors et enfants

Quelques mois après le lancement de la plateforme, ils décident d'élargir le scope avec l'idée de faire profiter de l'expérience d'un retraité à de jeunes enfants, les mercredis, autour d'activités ludiques comme le dessin, des jeux de société ou si besoin d'un peu d'aide aux devoirs. Lors de cette "garde éveillée" comme ils l'ont joliment appelée, l'enfant pourra passer trois ou quatre heures chez le sénior. "C'est un peu comme s'ils passaient une après midi chez un grand parent". Le tarif est de 6,60€ de l'heure.
Catherine en garde éveillée pour Les Talents d'Alphonse
Pour Catherine artiste en recherche d'emploi ce nouveau système lui permet de rester en activité et de transmettre sa passion pour le théâtre à des enfants et de leur proposer des activités ludiques et inventives. Elle témoigne «Ce qui m’a plu dans ce projet c’est le fait de mettre en relation des séniors avec des plus jeunes, au sein d’un même quartier. Je suis artiste et j’ai beaucoup travaillé dans le théâtre ainsi je pense que je peux transmettre des choses aux enfants: que les mots sont plus audibles en parlant qu’en criant, par exemple. Je leur fais aussi travailler leur imaginaire, on invente des contes ou on fait des travaux manuels. Comme j’ai peu d’enfant à la fois (1 à 3) et qu’ils sont chez eux, la relation est facilitée. Ils se livrent plus et cela créé un lien plus individualisé. Par ailleurs, je ne suis pas retraitée mais en recherche d’emploi et cette activité me permet de rester active et le travail avec les enfants est toujours enrichissant surtout par rapport à mon métier d’artiste. Je suis en train de restructurer mon appartement pour pouvoir accueillir des enfants chez moi aussi. L’expérience est vraiment plaisante et j’aime bien mon rôle de «copine» ou de «grande sœur»
L’entreprise est estampillée «Entreprise sociale et solidaire». Et c'est à ce titre qu’ils ont remporté en 2016 l’un des dix trophées –un prix de 23.000 euros– des entreprises sociales et solidaires accordés par la Mairie de Paris. Ils sont aussi parrainés et accompagnés aux quotidien par la MAIF. A ses débuts l’entreprise a franchi la très dure sélection de l’incubateur Sense Cube, de l'organisation Make Sense rue Biscornet dans le 12e qui les a hébergés gracieusement six mois. Ils sont à présent rue des Jeûneurs (75002) dans un espace de co-working de la MAIF qui les soutient depuis le début. Ils ont aujourd'hui trois salariés en CDI, trois stagiaires et deux jeunes en service civique.

Alphonse et Alphonsine, montrez vos talents

Ils ont ouvert leur plateforme à Lille et compte aujourd'hui 800 Alphonse et plus de 5000 heures de partage. L’objectif est d’agrandir encore la communauté des Alphonse et Alphonsine. «Toucher des retraités ce n’est pas aisé reprend Barthélemy, car ils ne sont pas trop présents sur les réseaux sociaux par exemple. Même si au début on a écumé des groupes Facebook d’amoureux de tricot ou de couture –oui cela existe–souligne-t-il en riant. Après c’est aussi du bouche à oreille: les Alphonse eux-mêmes essayent de convaincre leurs amis. On crée aussi des événements –le prochain dans un bar à pétanque qui devrait être très sympa– où on réunit curieux et Alphonse et chacun peut inviter quelqu’un. On est en recherche permanente, pas tant pour multiplier les talents que pour avoir un maillage important dans les quartiers, afin de créer ces liens sociaux de proximité. Alors on «recrute» tout le temps, vous pouvez le signaler dans votre article» conclut-il en souriant.
Alors, si vous avez ou si vous connaissez un super papi ou une mamie enthousiaste, n’hésitez pas à leur parler de cette nouvelle communauté de talents. Et pourquoi ne pas vous mettre enfin au bricolage ou au tricot, c’est très tendance.