Et si la Seine avait ses propres droits ? Entretien avec Marine Calmet, présidente de Wild Legal

Rencontre

Mise à jour le 09/12/2024

Une personne se promène aux aurores le long de la Seine.
Cette idée est au cœur d’un procès fictif qui se tient le 9 décembre au Théâtre de la Concorde. Marine Calmet, avocate et présidente de l’association Wild Legal, revient pour nous sur le concept des « droits de la nature » et sur ce qu’il pourrait changer en France.
Un procès fictif autour des droits de la Seine
Le 9 décembre, le Théâtre de la Concorde accueille une soirée immersive inédite où la défense de la nature se retrouvera au cœur d’un procès captivant. Cette audience symbolique interroge notre rapport à l’environnement et pose une question audacieuse : et si la Seine, fleuve emblématique, devenait sujet de droit, capable de défendre son intégrité ? Vous pouvez suivre le procès en direct sur la chaîne YouTube de la Ville de Paris.

Comment est né votre engagement pour les droits de la nature ?

Mon engagement a vraiment commencé lorsque j’ai travaillé en Guyane française pour défendre les droits des peuples autochtones et pour lutter contre le projet minier de la Montagne d’or. En France, j’ai rapidement constaté l’inefficacité du droit de l’environnement actuel à protéger correctement les milieux naturels. C’est en m’intéressant à l’Amérique du Sud, où le mouvement des droits de la nature est très présent, que j’ai décidé de fonder Wild Legal. L’objectif est d’initier une évolution juridique en France et de favoriser la reconnaissance des droits de la nature.
La juriste Marine Calmet pose devant un fond végétalisé

Quels sont les grands principes derrière les droits de la nature ?

Actuellement, notre droit de l’environnement est le reflet de l’Anthropocène, où l’être humain est la principale force de changement sur Terre, et où son activité déstabilise le milieu naturel et menace l’habitabilité de la planète. Des règlements, des lois ou des directives applicables ont beau exister, notre modèle juridique n’est pas suffisant, car on voit que l’état de santé des cours d’eau en France n’est pas bon.

On ne considère plus la nature comme une ressource ou une marchandise à disposition de l’être humain, mais comme un sujet à part entière.

Marine Calmet
cofondatrice et présidente de wild legal
Les droits de la nature proposent une approche différente : on ne considère plus la nature comme une ressource ou une marchandise à disposition de l’être humain, mais comme un sujet à part entière. Cela implique de lui reconnaître une valeur intrinsèque et des besoins. Et cela passe par le fait de lui donner des droits.

Y a-t-il des exemples concrets de mise en œuvre des droits de la nature à l’étranger ?

En Équateur, les droits de la nature ont été inscrits dans la Constitution en 2008. La nature y a le droit au maintien et à la régénération de ses cycles vitaux, ce qui a permis, par exemple, d’interdire certaines pratiques de pêche aux Galápagos. En Colombie, le fleuve Atrato a été reconnu comme un sujet de droit. Le juge a établi un lien entre le droit humain à un environnement sain et les droits du fleuve lui-même, établissant que l’un n’allait pas sans l’autre. Plus près de nous, en Espagne, depuis 2022, la lagune de la Mar Menor est protégée par une loi qui reconnaît ses dimensions biologiques, culturelles et spirituelles.

Où en est le sujet en France ?

Cela avance. Quand j’ai terminé mes études de droit il y a dix ans, on n’en parlait absolument pas. Aujourd’hui, c’est différent : dans la plupart des masters en droit de l’environnement ou en droits humains, les enseignants abordent désormais ce sujet. Cela fait partie de la culture générale transmise dans le milieu universitaire, qui s’est véritablement saisi de ces questions.

Notre objectif est de créer un réseau, des sources jusqu’à l’estuaire, pour convaincre l’ensemble des habitants de la Seine de changer de modèle juridique.

Marine Calmet
cofondatrice et présidente de wild legal
Du côté de la société civile, on observe une montée en puissance de l’intérêt des citoyens pour cette thématique. Avec Wild Legal, nous avons lancé le collectif des gardiennes et gardiens de la Seine, qui organise des formations, des balades et des événements de sensibilisation. Notre objectif est de créer un réseau, des sources jusqu’à l’estuaire, pour convaincre l’ensemble des habitants du fleuve de changer de modèle juridique. Dans le reste de la France, nous accompagnons quinze sites pilotes et nous travaillons avec des collectivités et des associations pour élaborer des propositions juridiques et les expérimenter localement.

Reconnaître les droits de la nature, ce serait aller dans le sens de l’histoire ?

Dès 1972, le juriste américain Christopher Stone a proposé d’accorder des droits aux arbres pour contrer un projet de la Walt Disney Company qui menaçait une forêt de séquoias. Dans son ouvrage Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ?, il rappelle que pendant une très longue partie de l’histoire de l’humanité, les enfants étaient considérés comme la propriété de leur père, qui avait le droit de vie ou de mort sur eux. Les esclaves noirs ont eu le statut de bétail et n’étaient pas considérés comme des êtres humains jusqu’à l’abolition de l’esclavage. Les femmes ont longtemps eu un statut juridique et politique inférieur à celui des hommes.
Donc la question de la reconnaissance de « l’autre » comme un sujet juridique et politique est quelque chose qui a beaucoup évolué à l’intérieur même de l’espèce humaine. Tout l’enjeu du XXIe siècle est de réussir à considérer autrui, cette fois les « non-humains », et à les inclure dans notre société.
Pour en savoir plus… et s’engager
L’Agence française de développement (AFD) a publié un dossier sur le sujet des droits de la nature.
Wild Legal, via le collectif des gardiennes et gardiens de la Seine, a lancé une pétition pour protéger la Seine.