Parcours Révolution : « Les traces de la Révolution se cachent dans les plis de Paris »
Rencontre
Mise à jour le 29/12/2023
Sommaire
Grâce à l'application « Parcours Révolution », retracez la Révolution française à Paris avec seize parcours dédiés. L'historien et professeur à l'université Paris 1 - Panthéon Sorbonne, Guillaume Mazeau, qui a participé à l'élaboration de ces balades, nous détaille ce vaste projet patrimonial.
S’inspirant du modèle du Freedom Trail, créé par la ville de Boston pour retracer l’épopée de la Révolution Américaine, le Parcours Révolution permet de revenir sur les pas de la Révolution française à Paris grâce à une application, un site internet et des lutrins implantés dans l’espace public. Seize parcours inédits sont ainsi proposés à travers toute la ville avec plus de 120 lieux célèbres ou oubliés, tous liés à cette période fondatrice.
Parcours Révolution en vidéo
Vidéo Youtube
A noter que l’application et le site sont disponibles en 5 langues : français, anglais, espagnol, italien et allemand.
En 2023, le site web et l'appli ont été enrichis d'une version audio.
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Entretien avec Guillaume Mazeau, historien et professeur à l'université Paris 1 - Panthéon Sorbonne
Comment avez-vous travaillé sur ces parcours dédiés à la Révolution ?
Ma pratique d'historien me pousse à relier
constamment la recherche en archives et l'histoire de terrain. Ma démarche a consisté à reprendre une histoire, celle de la Révolution française qui, à force d'être surchargée d'enjeux et
fétichisée, s'est un peu épuisée et a perdu sa capacité à nous parler, à nous
bousculer. J'ai donc essayé de la
revisiter sous tous ses usages, depuis l'écriture scientifique classique
jusqu'à ce genre de parcours, en passant par les monuments, les musées, le
cinéma ou le théâtre.
À quels types de publics s'adressent-ils et comment les appréhender ?
Le but est de rechercher l'interactivité : les gens vont composer leur propre parcours avec l'application, aller sur les lieux qui les
intéressent. En faisant descendre l'histoire dans la rue, je cherche à ce
que nos contemporains s'approprient une histoire qui nous est commune, en
dehors des bibliothèques et des livres. Même si on s'adresse aussi à un public scolaire, avec des propositions de ressources pédagogiques adaptées aux programmes.
On découvre que la Révolution nous est bien plus étrangère et pleine de surprises qu'on ne le pense généralement !
historien et professeur à l'université Paris 1 - Panthéon Sorbonne
Ce projet concerne aussi les passionnés d'histoire et celles et ceux qui sont avides d'en
apprendre davantage sur une période qu'ils croient connaître. C'est un des intérêts de ces parcours : on découvre que la Révolution nous est bien plus étrangère et pleine de
surprises qu'on ne le pense généralement !
Quelles sont les traces de la Révolution encore visibles à Paris ?
Elles sont très nombreuses, mais très diverses. Parfois
monumentales et évidentes, comme le Panthéon (5e), la Conciergerie (1er) ou la Chapelle
expiatoire (8e). Mais la plupart du temps, il faut aller les chercher dans les plis
de la ville : des noms de rues « républicanisés » ou laïcisés,
les emplacements d’anciennes affiches de loi (comme à l'église
Saint-Gervais, 4e), les inscriptions à l'entrée des églises (comme à Saint-Sulpice, 6e), les bancs de pierre du jardin des Tuileries (1er) ou les décors des anciens
clubs révolutionnaires, comme celui du Temple de Paris.
Si ses traces sont difficiles à voir, c'est aussi par nécessité économique, car les révolutionnaires n'avaient ni le temps ni les moyens de bâtir pour le long terme.
historien et professeur à l'université Paris 1 - Panthéon Sorbonne
Ces parcours sont aussi
une invitation à réfléchir sur ce que l'on garde ou non du passé commun. Et
sur les traces du passé qui, aujourd'hui, retiennent ou non notre attention.
Les révolutions en général et la Révolution française
en particulier font partie des événements qui ont souvent été effacés.
Mais ils invitent aussi à réfléchir sur ce qu'a été la Révolution dans la
ville. Si ses traces sont difficiles à voir, c'est aussi par nécessité
économique, car les révolutionnaires n'avaient ni le temps ni les moyens de bâtir pour le long terme. Parce qu'ils agissaient dans l'urgence ou par méfiance envers le
monumentalisme d'Ancien Régime, les révolutionnaires ont souvent préféré l'éphémère ou la discrétion. Les autels de la patrie, les arbres de la liberté, les
cocardes, les objets et constructions provisoires des fêtes révolutionnaires
ont souvent rapidement disparu car ils ont été détruits ou parce qu'ils étaient
tout simplement périssables et assumés comme tels.
Quels aspects de la Révolution gagneraient à être plus connus ?
Je commencerais par fortement nuancer l'idée selon laquelle les révolutionnaires ont cherché à faire table rase ou à effacer totalement l'Ancien régime. Dans ces parcours, on voit comment les révolutionnaires ont autant cherché à transformer qu'à faire oublier la ville d'avant 1789. Par exemple aux portes Saint-Denis (10e) et Saint-Martin (10e), à l'église Saint-Sulpice, à Notre-Dame (4e), au Panthéon…
Ils souhaitaient créer un
espace public à la fois débarrassé des signes qui selon eux empêchaient la
libre conscience, tout en conservant la grande majorité de l'héritage
monarchique et en protégeant les monuments et objets qui présentaient une
valeur artistique. C'est à cette fonction que le musée des Monuments français,
situé sur l'actuel emplacement de l'École nationale des Beaux-Arts (6e), a été dédié
après 1795.
On peut également rappeler la puissance et l'ambivalence de ses héritages. Il y a des parcours qui invitent à méditer sur des lieux attachés à l'émancipation
révolutionnaire, comme les Tuileries, qui ont accueilli l'Assemblée nationale,
le Palais Royal (1er), creuset du soulèvement de 1789, les
anciennes barrières d'octroi de Denfert-Rochereau (14e), du parc Monceau (8e) ou de
Stalingrad, dont la prise en juillet 1788 a précédé celle de la Bastille, ou enfin ces
maisons de sans-culottes anonymes.
Vous parlez de « l'ambivalence » de certains héritages révolutionnaires… C'est-à-dire ?
Certains lieux évoquent les aspects plus
sombres de la Révolution, qui fut aussi une guerre civile, comme le cimetière de
Picpus, la Chapelle expiatoire, le couvent des Carmes (6e) ou l'église
Sainte-Marguerite 11e. Sans niveler les choses, il s'agit de voyager à travers ces
événements pour réfléchir à la manière dont la Révolution a bousculé le monde
- et continue de nous poser des questions sans réponse simple.
Derrière les façades des monuments se cache une histoire vivante et souvent populaire qu'il faut rappeler.
HISTORIEN ET PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ PARIS 1 - PANTHÉON SORBONNE
Ces parcours nous mènent aussi sur les traces des femmes ou encore des « libres de couleur »,
issus des colonies françaises, ou des simples habitants qui ont fait vivre la
Révolution à Paris, tout autant que ses « grands hommes », et dont on a
pourtant souvent oublié le rôle. Qui se
souvient que la Bourse de Commerce (1er) était une halle aux blés pendant la Révolution ? Autrement dit, le centre alimentaire de Paris et le
territoire des marchandes des Halles qui ont joué un rôle essentiel au début de
la Révolution lors des Journées d'Octobre… Derrière les façades des monuments se cache une histoire vivante et souvent
populaire qu'il faut rappeler.
Avez-vous eu des surprises particulières lors de vos recherches ?
Oui, j'ai par exemple découvert qu'au 19 rue de la
Montagne Sainte-Geneviève (5e), à l'emplacement de l'ancien Collège de la Marche,
une institution nationale des colonies fut fondée en 1797. Elle était ouverte
aux enfants noirs. Ceux de Toussaint-Louverture mais aussi des officiers noirs
Pierrot, Lechat et Félix, ou Jean-Baptiste Belley, premier député noir de l'histoire de France,
y reçoivent une instruction républicaine.
L'école porte les ambiguïtés du
moment : elle est un outil d'émancipation très nouveau pour les gens de couleur, mais elle se pense comme un moyen pour civiliser les élites de couleur des colonies françaises dans une démarche coloniale. En tout cas, c'est un épisode et un lieu oubliés de la Révolution,
dont il existe pourtant encore une trace.
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