Line Renaud : « À Paris, tout me semblait démesuré »

Rencontre
Mise à jour le 29/09/2023
Line Renaud inaugurant la croisade de l'amabilité, sur les Champs-Elysées. A gauche : A. de Fouquières, Théodore Valensi. A droite : Raymond Rodel. Paris, 6 mai 1953.
À l'occasion de l'inauguration du jardin qui porte son nom à proximité de la place de la Concorde (8e), lundi 2 octobre, Paris.fr a rencontré Line Renaud. L'actrice, chanteuse et femme engagée nous parle de « son » Paris !
Line Renaud avait 16 ans quand elle est arrivée à Paris. Elle a fêté ses 95 ans en juillet dernier. Même si elle a passé quelques années outre-Atlantique, c’est près de quatre-vingts ans d’histoire parisienne qu’elle a traversés… Celle qui a rempli les salles de spectacle de la capitale, dansé dans ses boîtes de nuit, usé les micros des studios d’enregistrement nous raconte tout !
(Photo principale : Line Renaud inaugurant la croisade de l'amabilité, sur les Champs-Élysées. Paris, 6 mai 1953.)

Enfant, comment imaginiez-vous Paris ?

Je suis née à la fin des années 1920 dans un village du nord de la France qui comptait 600 habitants. Armentières est située sur la nationale qui relie Dunkerque à Lille, puis à Paris. Et moi je ne pensais qu’à Paris ! Si bien que le jour où à l’école - j’avais 12 ans, tout au plus -, on m’a demandé de faire une lettre ornée, j’ai immédiatement choisi le « P » de Paris, que j’ai agrémenté d’une tour Eiffel. Ce monument revient dans tous mes dessins de l’époque !
Quand ma mère m’a déposée à la capitale en 1945 - j’avais 16 ans - dans mon hôtel du 36, rue Notre-Dame-de-Lorette (9e), mon rêve est devenu réalité. Et cette réalité était encore plus belle que ce que j’avais imaginé ! Tout à Paris me semblait démesuré. Je me perdais tout le temps dans le métro et j’adorais ça. Avec les économies que ma mère m’avait laissées, je mangeais de la viande rouge une fois par semaine au restaurant des Galeries Lafayette.
Ce Paris de l’immédiat après-guerre était fabuleux : les rues étaient pleines de G.I. [les soldats américains, ndlr], mais aussi remplies de chanteurs de rues avec leurs accordéons. Les Parisiens retrouvaient le sourire après quatre années d’occupation allemande. La ville reprenait vie, tout était possible !

Puis vous avez découvert le monde des music-halls parisiens…

J’étais subjuguée par Paris et par tout ce qu’elle représentait, à commencer par les nuits parisiennes. Je fréquentais avec assiduité le Moulin-Rouge… avant même de savoir qu’un jour, je chanterai sur sa scène. C’est en 1954 que j’ai signé mon premier contrat pour me produire là-bas. Je devais y rester un mois et ça en a duré quatre ! C’est là que la vedette de télé américaine Bob Hope m’a repérée et proposé de partir aux États-Unis où j’ai chanté dans des shows regardés par 80 millions de téléspectateurs. Mais ma ville me manquait : j’écrivais tous les jours à ma mère pour lui demander des nouvelles de Paris !

Mon destin est lié depuis toujours au Casino de Paris.

Line Renaud
J’ai enchaîné les tubes et, quand je suis revenue travailler en France, je suis devenue meneuse de la revue Plaisirs au Casino de Paris. J’ai joué à guichet fermé avec plus de cent artistes sur scène, de 1959 à 1962.
Je suis retournée me produire au Casino de Paris de 1966 à 1968 dans la revue Désirs de Paris. Enfin, quand j’ai appris que cette salle de spectacle allait devoir fermer pour être transformée en garage, j’y suis à nouveau revenue pour Paris Line, un grand succès de 1976 à 1980. Mon destin est lié depuis toujours au Casino de Paris, je tenais à sa survie !

Dans quels quartiers de Paris avez-vous vécu ?

J’ai emménagé chez mon futur mari Loulou Gasté dans les années 1950, rue Ruhmkorff (17e), une petite rue proche de la porte Maillot que même les taxis avaient du mal à trouver. C’est là que de Jacqueline Enté, je suis devenue Line Renaud et que j’ai commencé à passer des auditions.
Plus tard, nous avons acheté un immeuble rue du Bois-de-Boulogne (16e) : ma mère et ma grand-mère habitaient dans les étages. Au rez-de-chaussée et au sous-sol, nous avions installé deux studios d’enregistrement où j’enregistrais mes maquettes, puis mes chansons. Nous étions les premiers producteurs à avoir nos propres studios ! J’ai toujours aimé ce quartier, près de l’avenue Foch, et encore aujourd’hui, après avoir vendu cet immeuble, j’ai racheté des bureaux à deux pas, rue Duret.
Si je réside en pleine forêt à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), Paris reste toujours dans mon cœur.
Line Renaud (née en 1928), chanteuse et actrice française et "Loulou" Gasté (1908-1995), musicien et compositeur français, à la Jonchère. Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), vers 1955.

C’est grâce à vous qu’une partie du Strip de Las Vegas a un petit air de Paris. Racontez-nous !

Forte de mon succès américain, en 1963, j’ai « emmené » le Casino de Paris à Vegas. La revue que j’ai menée au Dunes Hotel pendant trois ans s’appelait d’ailleurs tout simplement « Casino de Paris ».
J’ai gardé des liens forts avec cette ville, si bien qu’à la fin des années 1990, j’ai été à l’origine de l’ouverture de l’hôtel-casino Paris Las Vegas. En effet, sur le Strip, on trouvait un hôtel Monte-Carlo, un hôtel Louxor, mais rien pour représenter la France. J’ai servi d’intermédiaire entre le maire de Paris et un entrepreneur américain afin d’obtenir le droit de reproduire les monuments de notre capitale. Je suis devenue directrice artistique de cet établissement dans lequel on trouve un arc de Triomphe et une tour Eiffel « miniature » (165 mètres).
En 2017, la Ville de Las Vegas a baptisé une de ses rues Line Renaud Road !

Quelles sont vos adresses parisiennes préférées ?

Je me souviens, du temps de mes revues au Casino de Paris, que j’adorais poursuivre la soirée - jamais fatiguée après deux heures de spectacle ! - chez Castel (6e) ou au Palace (9e), pour danser toute la nuit !
Pour dîner avec mes amis Thierry Le Luron et Yves Mourousi, on se rendait dans les restaurants de la rue Saint-Anne (Paris Centre). Les week-ends, avec Loulou, nous rendions visite aux parents de Sacha Distel qui avaient une boutique aux puces de Clignancourt.

La rue que j’ai la plus arpentée et qui a la place la plus importante dans mon cœur, c’est la rue de Clichy !

Line Renaud
Sinon, j’ai toujours aimé flâner aux Buttes-Chaumont et faire du lèche-vitrines sur les Champs-Élysées. J’ai souvent visité Notre-Dame aussi. J’aime bien entendu la place Loulou-Gasté (17e) qui a été inaugurée en 2005 en l’honneur de mon mari. Mais la rue que j’ai la plus arpentée et qui a la place la plus importante dans mon cœur, c’est la rue de Clichy (9e), où se trouve le Casino de Paris !
Line Renaud (née en 1928) au Casino de Paris. Facade. Septembre 1978.

Sorti en 2010, votre dernier album s’appelle Rue Washington… Pourquoi ce nom ?

Oui, c’est une adresse importante pour moi. D’abord parce qu’en 1947, c’est en marchant rue Washington (8e) que j’ai entendu pour la première fois une de mes chansons chantées par des artistes de rue. C’était Le complet gris… et c’est ainsi que je me suis rendu compte que j’étais devenue une chanteuse populaire ! Ça m’a fait tellement chaud au cœur. Je me rendais alors à mes cours de chant au 10, rue Washington, dans les bureaux d’édition de Loulou Gasté.
Soixante ans plus tard, quand j’ai voulu enregistrer un nouvel album, on m’a proposé de le faire dans les studios d’enregistrement de Dominique Blanc-Francard… rue Washington ! C’est un signe du destin incroyable. Je devais donner ce nom à ce disque !

La chanson, le théâtre, le cinéma, les revues… et maintenant un jardin sur les Champs-Élysées ! Que ressentez-vous à l’idée de donner votre nom au Jardin des Ambassadeurs (8e) ?

Je suis fière de cet hommage - d’autant que j’ai appris depuis que le nom d’une personnalité ne peut d’ordinaire être attribué à une voie publique de Paris qu’après son décès.
Il n’y avait pas, selon moi, de meilleur endroit pour porter mon nom. En 2009, j’ai joué pendant six mois la pièce Très Chère Mathilde au théâtre Marigny, qui se trouve à quelques mètres de ce jardin. Entre la matinée et la soirée, j’allais y prendre l’air. C’est un lieu prestigieux, entre la place de la Concorde et les Champs-Élysées !
Théâtre Marigny