Violences conjugales : « Le médecin généraliste se trouve en première ligne pour les repérer »

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Mise à jour le 22/11/2022

Une femme sur le pont Louis-Philippe face à Notre-Dame de Paris
Le Professeur Louis Jehel est psychiatre et président de l’institut de victimologie. Il insiste sur la détection des signaux faibles de violences dans les consultations avec le médecin traitant.
Problèmes de santé récurrents, amaigrissement ou prise de poids inexpliqués, hypersensibilité… Les violences faites aux femmes rejaillissent par des troubles physiques ou psychologiques. Ces «signaux faibles» peuvent être révélateurs de violences dans le couple, niées et dissimulées par la victime.
Pour bénéficier d’une prise en charge de ces psychotraumatismes, les professionnels de santé doivent déceler les cas de violences et orienter les femmes vers des personnels formés. Le Professeur Louis Jehel, psychiatre et président de l’institut de victimologie, insiste sur l’importance de la détection des signes avant-coureurs dans les consultations avec le médecin généraliste.

Comment détecter les signes de violences invisibles ?

Professeur Louis Jehel. C’est très difficile. La personne a honte, elle ne sait pas à qui s’adresser en pleine confiance. Elle est capable de nier pendant des années. Le médecin généraliste se trouve en première ligne pour repérer les violences conjugales.
L’analyse du langage peut donner des informations sur des psychotraumatismes. Ce qui va nous inquiéter, ce sont le poids des négations et les distorsions cognitives.
Une femme victime de violences présentera un raisonnement perturbé par sa douleur émotionnelle. Elle subira de plein fouet le stress au travail et s’en plaindra. Travailler peut être compliqué : elle est déjà disqualifiée par l’homme à la maison. Son hypersensibilité liée à sa souffrance peut être une faille dans ses rapports professionnels. Or la violence conjugale demeure bien plus dévastatrice.
Le généraliste propose un arrêt de travail. La femme est placée devant une situation impossible : elle ne veut pas rester plus longtemps à la maison. Comment lui dire que l’homme que le médecin connaît et soigne est aussi un mari violent ? Ces situations prennent place dans tous les milieux sociaux.

Quels sont les signes cliniques de ces violences conjugales invisibles ?

Pr. L. J. : Troubles du sommeil, de l’appétit, fatigue, douleurs, maux de ventre, vision perturbée… Dans un premier temps, il est indispensable d’explorer ces douleurs avec des bilans biologiques pour s’assurer qu’il n’y a pas de problème de santé physique. Cela peut être aussi mal vécu d’attribuer d’emblée une cause psychologique à un problème de santé.
Si, après une cascade de bilans, le médecin généraliste ne trouve pas d’explications aux douleurs, il doit se demander pourquoi sa patiente va mal. Et même si ces douleurs peuvent être d’origine physique, un climat de tension peut les exacerber.

Le stress altère les défenses immunitaires des enfants. La maison n’est pas un lieu « secure » : c’est un lieu de violences.

Professeur Louis Jehel
psychiatre, président de l'institut de victimologie
Les violences se répercutent sur la santé des enfants. Le stress altère les défenses immunitaires. Les enfants se sentent coupables, ils ne savent pas quoi faire. Les situations d’adversité à un jeune âge augmentent les risques de pathologies physiques et les conduites à risque à l’âge adulte. Les enfants peuvent aussi avoir des difficultés à respecter les règles. Parce que la maison n’est pas un lieu « secure » : il y règne un climat de stress permanent, c’est un lieu de violences.

Comment agir pour détecter ces violences invisibles et les traiter ?

Pr. L. J. : Il faut bâtir un climat de confiance et d’alliance avec la femme et l’enfant. Si la femme ne peut pas se livrer à son médecin traitant, à lui de chercher quelqu’un avec qui elle pourra le faire. Les généralistes doivent accepter de ne pas tout savoir de patientes qu’ils ou elles soignent depuis dix ou quinze ans. Ce n’est pas une limite d’incompétence, au contraire, c’est accepter qu’il y a des choses que d’autres professionnels sauront mieux traiter.
Il existe des associations d’entraide de femmes, des réunions d’informations qui les aideront à conscientiser ce qu’elles vivent, le schéma de violences qu’elles endurent et les normes qu’elles ont acceptées.

Que peuvent faire les médecins traitants pour mieux orienter les victimes ?

Pr. L. J. : Dans les salles d’attente, les inviter à disposer d’affiches ou de flyers avec des informations, des adresses, des contacts d’associations ou d’organismes spécialisés.
L’établissement d’un climat de confiance reste primordial. Durant la consultation, il faut veiller à interroger l’état émotionnel de la personne, le climat dans la famille et le couple.
J’ai connu des situations terribles de femmes qui s’alcoolisaient pour supporter la violence de leur mari. L’alcool chez les femmes fait souvent remonter des violences physiques dont elles sont victimes. En l’absence de reconnaissance de violences, le seul moyen de réduire la violence peut être le suicide. La peur d’être à nouveau humiliée peut faire obstacle à la thérapie. Repérer cette conduite à risque via une prise de sang peut être le déclencheur de soin et d’une discussion sur la situation familiale.
Poser systématiquement des questions ouvertes sur la vie à la maison prend du temps, mais c’est indispensable. Des questions larges, ouvertes et répétées pour entendre quand quelque chose ne va pas. Avant de renouveler une ordonnance de somnifères, ce questionnement est nécessaire. Dormir dans le lit conjugal peut être éprouvant pour une femme victime de brutalisation.
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