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« La Commune, mythe mondial… et objet d'histoire »
Rencontre
Mise à jour le 17/05/2021
Sommaire
L'historienne Laure Godineau, membre du Comité d'histoire de la Ville de Paris et maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Sorbonne Paris-Nord (Paris 13), revient sur les questions que pose encore la Commune 150 ans après et explique en quoi cet événement est toujours un sujet d'études. Entretien.
En quoi cette insurrection s’inscrit-elle dans le XIXe
siècle ?
Depuis 1871, la Commune a donné lieu à
de multiples interprétations. Un des questionnements a eu trait à la nature de
l’insurrection et à sa place dans l’histoire des révolutions : aurore ou
crépuscule ? Aurore des révolutions prolétariennes et socialistes du XXe
siècle, ou crépuscule, dernière des révolutions du XIXe siècle
entamées par la Révolution française ? Les recherches en histoire
tendent aujourd’hui à dépasser ces lectures antagoniques, en mettant l’accent
sur la complexité et la pluralité de la Commune.
Comme le dit très bien l’historien Michel Cordillot, il faut prendre en compte les trois dynamiques, républicaine, sociale et patriotique, pour comprendre la Commune.
Laure Godineau
HISTORIENNE, MEMBRE DU COMITÉ D'HISTOIRE DE LA VILLE DE PARIS
La « République démocratique et
sociale », la « vraie République » à laquelle aspirent les
insurgés et les insurgées s’inscrit dans un mouvement profond qui renvoie aux
années antérieures à 1871, et en particulier à 1848. D’autre part, depuis
longtemps déjà, le grand historien de la Commune Jacques Rougerie a souligné
que le « peuple communard »
est avant tout issu du monde du travail du Paris de cette époque et ne
correspond pas aux prolétaires des temps modernes. Ce sont des ouvriers et ouvrières
travaillant dans des ateliers et proches de l’artisanat, dans de petites
fabriques - il y a encore peu de gros établissements -, ou encore à domicile ;
des travailleurs du bâtiment ou des journaliers ; des petits patrons
souvent proches des ouvriers, des petits
boutiquiers, des employés, des professions libérales, etc.
Il faut également se
rappeler les circonstances dans lesquelles s’inscrit l’insurrection, même si on
ne peut la réduire à ce seul aspect : la guerre de 1870-1871 et le siège de la
capitale, dans une ville bouleversée par les travaux haussmanniens et où les
contrastes sociaux sont marqués. Comme le dit très bien l’historien Michel
Cordillot, il faut prendre en compte les trois dynamiques, républicaine,
sociale et patriotique, pour comprendre la Commune.
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Pourtant, elle a aussi une résonance aux siècles suivants…
Cette inscription dans le XIXe siècle
n’empêche pas des résonances au XXe et XXIe siècles. La Commune
est devenue un mythe mondial au XXe siècle. De nos jours, on peut entre
autres penser aux idéaux d’une République démocratique et sociale et à leur
mise en œuvre : expérimentation d’une « démocratie vraie » avec également
ses difficultés ; projets pour réaliser une République sociale et adoption
d’une certain nombre de mesures afin de mettre fin au « vieux monde » ;
souhait d’une République universelle. On s’est aussi beaucoup penchés sur le
rôle des femmes à ce moment. Sans parler des interrogations sur la répression
qui a suivi.
Quels étaient les projets sociaux de la Commune ?
Certaines mesures visaient en priorité à
répondre aux difficultés du peuple parisien. En cela, la Commune est revenue
sur les décisions ou projets impopulaires envisagés par l’Assemblée nationale –
à majorité monarchiste –, comme en matière de loyers. Dès le début, elle
a décidé de remettre les loyers d’octobre 1870 à juin 1871, donc pour neuf
mois. Mais on voit bien que cela pose la question des logements et des
relations entre locataires et propriétaires.
La Commune a disposé de peu de temps, et ses élus n’étaient pas tous d’accord sur les modalités et la rapidité du changement.
Laure Godineau
Historienne, membre du Comité d'histoire de la Ville de Paris
D’autres mesures proposées
notamment par la Commission du Travail, animée par Léo Frankel, visaient
explicitement à réaliser l’idéal d’émancipation sociale, l’affranchissement du
travail : par exemple, l’interdiction du travail de nuit des ouvriers
boulangers, qui supposait par ailleurs une intervention dans les relations
entre patrons et ouvriers, ou l’interdiction des amendes et retenues sur
salaires. Un des projets était de mettre en place une autre organisation du
travail par le développement des associations ouvrières de production. Mais la
Commune a disposé de peu de temps, et ses élus n’étaient pas tous d’accord sur
les modalités et la rapidité du changement.
Pourquoi l'idée d'enseignement laïque, lancée par la Commune, a-t-elle été si vite reprise ensuite ?
La Commune a aussi décrété la séparation
de l’Église et de l’État et a voulu que soit mise en place une école primaire
obligatoire, gratuite et laïque pour les filles et les garçons. Les
réalisations à ce sujet ont été variables selon les arrondissements. Toutes ces
mesures ont pris fin avec la répression de l’insurrection.
La République mise alors en place n’est pas la République démocratique et sociale qu’avaient voulue les communards.
Laure Godineau
HISTORIENNE, MEMBRE DU COMITÉ D'HISTOIRE DE LA VILLE DE PARIS
Environ dix ans plus
tard, quand la République est devenue vraiment « républicaine »,
l’école primaire est devenue gratuite, obligatoire et laïque (1881/82). Il faut
voir que l’anticléricalisme était à cette époque partagé par une grande partie
des républicains, de même que le projet d’une école primaire laïque. Mais la
République mise alors en place n’est pas la République démocratique et sociale
qu’avaient voulue les communards.
La question des autres Communes, en dehors de celle de Paris, est-elle un sujet d'étude ?
L’histoire de la Commune a été
profondément renouvelée. Les historiens et historiennes, dans les prolongements
des travaux déjà anciens sur les Communes de province, mettent l’accent sur la
nécessité d’appréhender le mouvement communaliste dans un dimension nationale.
Bien que la Commune de Paris reste l’événement majeur, qu’en est-t-il alors sur
l’ensemble du territoire ? L’historien Quentin Deluermoz s’est intéressé aussi
à la Commune comme événement médiatisé à l’échelle mondiale, dans une
perspective d’histoire globale.
Sous quel angle nouveau les historiens abordent-ils la Commune de Paris ?
Historiens et historiennes se penchent sur ce qui se passe à l’échelle des quartiers parisiens, avec une approche « par le bas », en matière de pouvoirs, de démocratie, de souveraineté ou d’expression populaires, d’engagements ou de résistances, car il est aussi intéressant de scruter ceux qui n’adhéraient pas à l’insurrection ou y étaient franchement hostiles. On s’intéresse au quotidien du Paris insurgé,
comme à la dimension humaine de la révolution ou à la transformation sensible
du Paris communard. L’histoire du genre et l’étude des imaginaires sociaux est de
même prometteuse.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser au premier abord la profusion d’ouvrages sur 1871, il reste encore beaucoup à comprendre et à connaître de cette période passionnante.
Laure Godineau
HISTORIENNE, MEMBRE DU COMITÉ D'HISTOIRE DE LA VILLE DE PARIS
Enfin, une approche temporelle élargie, qui ouvre sur l’avant
comme sur l’après, permet de ne pas circonscrire l’histoire de l’insurrection au
printemps 1871. Contrairement à ce que pourrait laisser penser au premier abord
la profusion d’ouvrages sur 1871, il reste encore beaucoup à comprendre et à
connaître de cette période passionnante.
Vidéo : sur les traces visibles de la Commune à Paris
Laure Godineau nous emmène à la recherche des traces encore apparentes de la Commune dans la ville. Exécutions, incendies, impacts de balles, pour qui sait regarder, l'histoire et ses conséquences sont à portée de regard.
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