Parce que la musique s’écrit aussi au féminin
Reportage
Mise à jour le 04/03/2022
Sommaire
Avec son « Académie des jeunes compositrices », l’Orchestre de chambre de Paris veut encourager les artistes féminines à franchir le pas de l’écriture et s’imposer dans le milieu de la création. Reportage lors d’un atelier auprès d’une formation à vents.
Sa mélodie s’échappe de l’orchestre à vents pour la première fois. Haeun Choi, 29 ans, entend les notes qu’elle a écrites jouées par des musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris (OCP). Durant une bonne heure, le trompettiste, la bassoniste, le hautboïste et les deux flutistes décortiquent sa partition dans une salle de la Philharmonie (19e).
Ils reprennent des passages, proposent des variantes de sonorités, demandent des clarifications. « Je peux jouer moins fort aussi », suggère Adrien Ramon, alors qu’il teste différentes sourdines pour baisser le volume sonore de sa trompette. « Pour la dernière mesure, est-ce que tu veux une attaque avec la langue ou une variation d’air ?, interroge Fany Masseli, au basson, instrument de la famille du hautbois. Cela dépend de l’effet que tu veux donner. »
Un incubateur pour de jeunes créatrices
Depuis septembre 2021, Haeun participe à l’ « Académie des jeunes compositrices » de l’Orchestre de chambre de Paris. Ce n’est « ni une école, ni un conservatoire », plutôt un « un incubateur pour de jeunes créatrices et une opportunité de se former à l’écriture pour orchestre », précise l’OCP. Un espace de travail consacré à des musiciennes qui « n’osent pas encore franchir le pas de la composition ».
Comme Ana Meunier, 23 ans, Farnaz Modarresifar, 32 ans et Selim Jeon, 27 ans, Haeun a été sélectionnée au printemps dernier. Durant deux ans, elle va participer à des ateliers encadrés par Thomas Lacôte, compositeur et organiste, avec Clara Olivares, compositrice et pianiste de 28 ans. Au bout de la formation, les quatre musiciennes réaliseront une pièce d’orchestre qui sera jouée au théâtre du Châtelet sous la direction de Lars Vogt.
Seulement 1 % de compositrices en 2015
En 2021, 7 % des chefs d’orchestre des orchestres nationaux étaient des femmes, d’après les données compilées par le ministère de la Culture. Dans les festivals de musique, on comptait seules 7 directrices d’orchestre.
« Oui, il y a une faible présence des femmes en tant que chef d’orchestre. Encore plus en tant que compositrice », admet Nicolas Droin, directeur de l’Orchestre de chambre de Paris. « Nous avons été dans les premiers à nommé des femmes cheffes d’orchestre. Nous avons aussi un orchestre paritaire », défend celui qui est à la tête de l’OCP.
Même dans les classes de composition, il y a très peu de femmes. Il faut travailler sur des mécanismes encore plus profonds.
directeur général de l'orchestre de chambre de paris
Les chiffres concernant la composition fléchissent encore. D’après les données des auteurs et des compositeurs dramatiques de 2015, sur 867 compositeurs, 12 sont des compositrices, soit 1 %. Les femmes représentaient 11 % des compositeurs et chorégraphes inscrits à l'Agessa et à la Maison des artistes. « Même dans les classes de composition avant le conservatoire, il y a très peu de femmes. Il faut travailler sur des mécanismes encore plus profonds, soutient Nicolas Droin. C’est de là qu’est née la réflexion de cette académie, une entité non mixte pour amorcer un propos. »
Apprendre à s'adresser à l'orchestre
Pianiste et compositrice contemporaine, Clara Olivares reconnaît qu’il est « très intimidant de se retrouver face à un orchestre. Ces hommes et femmes fonctionnent comme un groupe soudé, avec une certaine sociologie ».
Avec tact, celle qui a composé son premier opéra à 23 ans apprend aux recrues à s’adresser aux instrumentistes. Lors des ateliers, Clara
Olivares les encourage à aller au bout de leurs idées, à proposer des
alternatives et dépasser l’échec si une proposition n’a pas le rendu escompté.
« C’est une découverte des deux côtés, complète la bassoniste. Elles nous posent des questions sur les possibilités de nos instruments, comment ils peuvent se mélanger, réagir entre eux. La hauteur des notes ou l’utilisation d’une sourdine peuvent être déterminantes, et ne figurent pas sur la portée. C’est comme un peintre qui met un peu plus de blanc sur sa palette. Le rouge n’est plus aussi rouge. Et cela fait toute la différence dans une œuvre d’art. »
À son pupitre, Ana Meunier note les précisions apportées à la composition d’Haeun. Dans peu de temps, l’ensemble à vents mettra en musique sa partition. Depuis ses 18 ans, cette pianiste compose. « Sans que je m’en rende compte, j’inventais des petites pièces au cours d’improvisations, se remémore-t-elle. Écrire, c’est une manière d’explorer un langage musical, un univers sonore, les possibilités d’un instrument. »
Auprès de l’ensemble à vents, Ana reconnaît l’écart « entre ce que l’on a par écrit et ce que l’on va entendre ». Lors du travail avec les musiciens, la jeune femme établit « ce qui est possible ou pas » et « perfectionne (sa) connaissance technique des instruments ».
Peu de modèles féminins dans la composition
Est-ce que la musicienne a connu des difficultés pour percer en tant que femme ? Elle admet « de l’inconfort, peut-être », sans avoir pour autant « ressenti de barrière ». Et ajoute que « cela peut être plus inconscient. Il y a peu de modèles féminins dans la composition. Peut-être qu’il y a déjà une barrière mentale qui se pose ? »
S’il y a eu des opportunités manquées, (…) je ne les ai pas ressenties. En revanche, on m'a coupé la parole, je me suis vite sentie illégitime.
Compositrice associée à l'orchestre de chambre de paris
Même impression pour Clara Olivares : « S’il y a eu des plafonds de verre ou des opportunités manquées du fait de ma condition de femmes, je ne les ai pas ressentis. En revanche, on m’a coupé la parole, je n’ai pas été très à l’aise pour défendre une idée, je me suis vite sentie illégitime. »
Pendant les deux années durant lesquelles elle va suivre Haeun, Ana Farnaz et Selim, la docteure en musicologie compte bien les voir « évoluer dans le sens où elles ont envie d’évoluer, qu’elles se sentent en confiance et qu’elles puissent communiquer de la façon la plus plaisante avec les musiciens ». En somme, conclut Clara, « qu’elles s’éclatent ! »
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