« Paris, un musée à ciel ouvert » : le monde du travail
Série
Mise à jour le 11/08/2021
Sommaire
Avec près de 1000 œuvres dans l'espace public, dont de nombreuses statues, Paris regorge de témoignages de son histoire. Partez à la découverte de ce patrimoine avec notre nouvelle série « Paris, un musée à ciel ouvert ». Voici une sélection de sept statues célébrant le travail.
Capitale économique du pays dès
le Moyen Âge, Paris a toujours fourmillé d’une intense activité au sein des
innombrables ateliers et manufactures. Cependant, la figure des artisans et des
ouvriers a longtemps été éclipsée par celle des d’artistes, des penseurs et des dirigeants politiques ou militaires qui peuplent l’espace public parisien, illustrant le statut de capitale artistique et
politique qu'elle revendique.
Il fallut attendre la fin du XIXe siècle, lorsque le travail devient une valeur fondatrice de la société,
pour que le monde ouvrier commence à être représenté dans l’espace parisien. Le vocabulaire
mythologique et antique traditionnel de la statuaire publique se prêtait en
effet peu à la représentation du quotidien souvent difficile du prolétariat.
C’est sans doute pourquoi, si la plupart de ces rares figures de travailleurs illustrent
des activités symboliques de Paris, comme Le
Porteur de viande, Les Boulangers ou La Grisette, certaines célèbrent le monde agricole pourtant absent du
territoire parisien, mais beaucoup plus propice à l’allégorie, à l'image du Botteleur.
Jean Leclaire, un patron pas comme les autres
Aimé-Jules Dalou (1838-1902), sculpteur, Jean-Camille Formigé (1845-1926), architecte
Bronze inauguré le 1er novembre 1896, fondu en 1943, restitué en 1971
Lieu : Square des Épinettes (17e)
Bronze inauguré le 1er novembre 1896, fondu en 1943, restitué en 1971
Lieu : Square des Épinettes (17e)
Il est bien rare que des ouvriers soient à l’origine d’une
souscription destinée à ériger un monument en l’honneur de leur patron. Tel est
pourtant le cas pour la statue de Jean Leclaire (1801-1872), modeste artisan
devenu entrepreneur de peinture en bâtiment. Il fonda une société de prévoyance
et de secours mutuels pour ses employés et leur redistribuait les bénéfices de
l’entreprise.
De plus, il fut à l’origine de l’abandon de l’oxyde de plomb,
pigment très toxique, au profit de l’oxyde de zinc, inoffensif. Il les protégeait
ainsi du saturnisme, maladie professionnelle mortelle due à une accumulation de
plomb dans l’organisme.
Un tel monument était un défi pour un sculpteur, car
s’il est courant de représenter des artistes peintres, comment faire comprendre
qu’il s’agissait là de peinture en bâtiment ? Et comment évoquer la
générosité de Leclaire ? Dalou hésita puis accepta cependant la
proposition, séduit par la dimension philanthropique du personnage et le
caractère social de son action.
Il représenta Jean Leclaire en pied qui, par
une accolade bienveillante, aide un peintre en bâtiment à gravir une marche,
symbole d’une ascension sociale et d’une protection acquises grâce à lui. Il a
particulièrement soigné la tenue et l’outillage spécifiques du peintre. La
statue fut fondue sous l’occupation et le socle resta vide jusqu’en 1971, mais la société de prévoyance des ouvriers de
la Maison Leclaire fit fondre à nouveau un bronze. Un bel exemple de
reconnaissance éternelle.
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La Carrière, hommage universel à toutes les victimes du monde du travail
Henri Bouchard (1875-1960)
Marbre (1906)
Lieu : Parc Montsouris (14e)
Marbre (1906)
Lieu : Parc Montsouris (14e)
Au cœur d’une galerie, deux hommes progressent péniblement,
portant le corps inanimé de leur compagnon sur leur dos. Le marbre veiné de
gris est ici non seulement le matériau de la sculpture, intitulée La Carrière, mais également la matière
même contre laquelle ces ouvriers luttent quotidiennement.
Ce haut-relief daté de 1906 est une œuvre de jeunesse
d’Henri Bouchard, son envoi de quatrième année alors qu’il poursuit sa
formation à la villa Médicis, comme tous les artistes lauréats du prix de Rome.
Très tôt le sculpteur marque un intérêt poussé pour les représentations du
monde du travail, du paysan bourguignon au docker du port de Naples.
Avec ce haut-relief, l’artiste, qui avait été très marqué
par un accident dans les carrières de Carrare, s’attaque à la face sombre du
travail. Au-delà de la pénibilité, Bouchard représente le drame humain lié
aux dangers que côtoient les hommes au quotidien. L’autre titre de cette
sculpture est L’accident à la mine :
par son caractère synthétique, faisant abstraction des détails anecdotiques,
l’œuvre devient un hommage universel à toutes les victimes du monde du travail.
La Carrière,
confiée par l’État à la Ville de Paris, est installée dans le parc Montsouris
depuis 1910, conformément au souhait d’Henri Bouchard.
La Grisette de 1830, joie et légèreté de la travailleuse du Paris populaire
Jean-Bernard Descomps (1872-1948)
Marbre (1909)
Lieu : Square Jules Ferry (10e)
Marbre (1909)
Lieu : Square Jules Ferry (10e)
Un visage frais et souriant surmonté d’une élégante
coiffure, une jolie robe aux manches bouffantes, tout semble respirer la joie
et la légèreté chez cette jeune femme aux bras chargés de fleurs, qu’elle
s’apprête à vendre aux passants.
Le titre de l’œuvre inscrit sur le socle, La grisette de 1830, souligne le
caractère emblématique et daté de ce personnage féminin du Paris populaire de
la première moitié du XIXe siècle. Si le terme de grisette a d’abord
fait référence à la liberté du petit oiseau dénommé fauvette grisette, il
pointe ensuite la couleur des étoffes de faible qualité portées par les
ouvrières.
La grisette est en effet une jeune femme qui doit travailler dur
pour gagner sa vie : elle est marchande des quatre saisons, modiste,
couturière, lingère… Nombreux furent les artistes et les écrivains, de Balzac à
Alfred de Musset, qui évoquèrent le quotidien de ces femmes et notamment leurs
mœurs, réputées légères.
Le sculpteur Jean-Bernard Descomps souligne ici la
coquetterie et la fraîcheur de ces jeunes travailleuses du Paris de l’époque
romantique, pourtant soumises à un quotidien des plus précaires.
Commandée par l’État en 1904, cette œuvre en marbre est
cédée en dépôt à la Ville de Paris en 1911, pour prendre place dans le quartier
de la Folie-Méricourt.
Le Botteleur, le paysan nu
Jacques PERRIN
(1847-1915)
1891, bronze
Lieu : Square Maurice Gardette (11e)
1891, bronze
Lieu : Square Maurice Gardette (11e)
Voici, en plein square parisien, la statue d’un paysan au travail
dans les champs : étonnamment, ce paysan est nu !
En effet, pour le sculpteur Jacques Perrin, élève d’Auguste Dumont
à l’École des Beaux-Arts et second prix de Rome en 1875, le nu incarne la
meilleure façon d’héroïser un modèle, et lui permet également de démontrer sa
maîtrise technique dans la représentation de l’anatomie humaine.
Malgré ce choix du nu, la posture du Botteleur, représenté en pleine action, témoigne d’un certain souci
de précision. Avec son genou droit, il maintient une botte de gerbes de blé
pour pouvoir nouer une corde autour d’elle. L’homme est concentré, ses muscles
sont tendus par l’effort. Un grand dynamisme se dégage de cette statue dont les
deux lignes directrices, celle de la botte et celle de l’homme, convergent au
niveau du genou, exprimant la force demandée par ce labeur.
Si le monde du travail paysan est évoqué de façon réaliste en
peinture par des artistes comme Jean-François Millet ou Jules Breton,
l’héritage antique reste plus persistant en sculpture. Alors que la majorité de
la population française est encore rurale, cette statue en bronze, une des
rares qui n’a pas été fondue pendant la Seconde Guerre mondiale, offre une
image idéalisée et éternelle des travaux des champs.
Les Boulangers, noblesse du monde ouvrier
Alexandre Charpentier (1856-1909)
Grès émaillé, 1897
Lieu : Square Scipion (5e)
Grès émaillé, 1897
Lieu : Square Scipion (5e)
Exposée au salon de la Société nationale des Beaux-Arts de 1897, l’œuvre d’Alexandre Charpentier intitulée Les Boulangers fut acquise par la Ville de Paris pour être placée au square Laurent-Prache (5e), puis transférée au square Scipion (5e). Elle traduit de façon allégorique et épurée l’idée du travail primordial apportant la nourriture pour les masses. La simplification des
lignes et des volumes voulue par Charpentier, inspirée de la procession de la Frise des Archers (musée du Louvre) concourt
à exprimer un hiératisme moderne.
L’intemporalité des longs tabliers aux plis
lourds ajoute une dimension spirituelle et morale à la scène ; le travail
du pain nourrit les corps comme les esprits. Cette trinité laïque exprimant le
labeur des hommes met en scène d’authentiques garçons boulangers dont
l’artiste a observé le travail.
La flamboyante exécution en briques de grès
polychrome est réalisée par la prestigieuse maison Émile Müller et Cie à qui
l’on doit la grande frise du Travail
pour la Porte monumentale de l’Exposition universelle de 1900.
Les Boulangers, qui s’inscrivent dans le traitement noble du monde ouvrier, sont aussi salués par la critique lors de ce grand événement ; l’auteur est récompensé par une médaille d’or.
Le Répit du travailleur, l'autre Penseur ?
Jules PENDARIÈS (1862 - 1933)
1925, marbre
Lieu : esplanade Roger Linet (11e)
1925, marbre
Lieu : esplanade Roger Linet (11e)
C’est à l’occasion du Salon de 1907 que la Ville de Paris
fit l’acquisition du Répit du travailleur, présenté par le sculpteur Jules
Pendariès dont toute la carrière fut fortement marquée par le monde du travail.
Initialement placé dans la mairie du 18e arrondissement, le marbre
fut échangé en 1909, à la demande de Pendariès, par le musée du Petit Palais
contre un autre groupe de l’artiste, Aux Champs, que le musée conservait.
C’est en 1926 qu’il trouva son emplacement définitif, devant l’usine Couesnon, une
manufacture d’instruments de musique, devenue dix ans plus tard la Maison des
Métallurgistes.
Appuyé sur son outil, hagard, les yeux perdus dans le
vide, épuisé après une journée de dur labeur, le mineur de Pendariès garde cependant
toute sa dignité. À travers lui, c’est à l’ensemble du monde ouvrier que le
sculpteur rend hommage ; ce monde ouvrier alors en plein essor, mais aussi
en pleine lutte pour ses droits, tel que Zola l’avait décrit vingt ans plus tôt
dans Germinal.
Son allure n’est pas sans rappeler la posture du Penseur,
et la légende voudrait que Rodin se soit inspiré de l’œuvre de Pendariès. Il
n’en est probablement rien, Rodin ayant commencé à travailler à cette figure
dès les années 1880.
Porteur de viande, hommage aux métiers de bouche
Albert BOUQUILLON (1908-1997)
1991, bronze
Lieu : Parc Georges-Brassens (15e)
1991, bronze
Lieu : Parc Georges-Brassens (15e)
Commandé par la Ville de Paris et
installé en 1991, le Porteur de viande d’Albert Bouquillon garde et
honore la mémoire d’une activité désormais disparue, mais chère au souvenir des
Parisiens, les métiers de bouche.
À jamais liée dans la mémoire
collective au souvenir des Halles de Baltard, le ventre de Paris, l’activité
alimentaire parisienne s’exerçait pourtant également dans deux lieux ayant
laissé une empreinte forte dans le territoire parisien : les abattoirs de
La Villette et de Vaugirard.
Construits par l’architecte Ernest
Moreau entre 1896 et 1907, les abattoirs se composaient de deux ensembles distincts, bien que
réunis dans la même enceinte : les abattoirs généraux et le marché aux
chevaux. Ils furent progressivement démolis entre 1977 et 1985 pour laisser la
place au parc Georges-Brassens. N’en subsistent aujourd’hui que les pavillons
d’entrée, le campanile de la criée et la halle aux chevaux.
Par ses formes
épurées, le Porteur de viande est un parfait exemple de la sculpture
figurative des années 1980-1990. On y reconnaît pourtant le geste ancestral,
mille fois répété par les hommes qui transportaient autrefois les quartiers de
viande débités ici même, vêtus de leurs tabliers emblématiques, que l’artiste a
su évoquer par une ligne à peine esquissée.
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