À l’agence parisienne du travail d’intérêt général, « une peine intelligente qui offre une deuxième chance »

Reportage
Mise à jour le 14/06/2024
le jeune TIG et son tuteur Roman Girou
L’agence parisienne du travail d’intérêt général (TIG) et de la prévention de la récidive a été lancée en juin 2023 afin de mieux organiser l’accueil et le placement des personnes en TIG. Et pour la première fois, un Ehpad du 13e s'est engagé dans ce dispositif en accueillant deux « TIGistes » au début de l'année.
B., 24 ans, est « TIGiste » depuis février 2024 dans l’Ehpad Annie Girardot (13e), où il doit effectuer 210 heures de travail d’intérêt général (TIG) au service restauration. C’est la première fois qu’un Ehpad de la Ville s’engage dans le dispositif. B. s’y rend uniquement deux jours par semaine, car il travaille ailleurs le reste du temps et ne peut pas excéder 47 heures hebdomadaires, comme le stipule le Code du travail, que l’agence parisienne du TIG et de la prévention de la récidive respecte à la lettre. Et le directeur de l’Ehpad, Franck Oudrhiri, croit très fort en ce dispositif « qui permet à quelqu’un d’exécuter une peine dans un contexte ni isolant ni désocialisant comme peut l’être l’incarcération ».
Photo principale : Le tuteur du jeune Tigiste, Romain Girou, second de cuisine, fait face à B. , TIGiste, de dos.

Avec lui, tout est fluide, son aide est précieuse pour l’équipe.

Romain Girou
Tuteur de B., TIGiste
« Avec B., tout est fluide, se réjouit Romain Girou, second de cuisine, qui est aussi son co-tuteur avec Laurent Michon, chef de cuisine, Il est venu chaque jour à l’heure sans faute et a bien exécuté ses tâches. Son aide est précieuse pour l’équipe car il nous fait gagner du temps. Il nous aide à éplucher les légumes, il fait la vaisselle, nettoie le sol… On lui confie aussi quelques petites productions comme des entremets simples. »
Pas évident pour B. qui, de son propre aveu, « a du mal d’habitude à suivre des directives… Mais ici tout est demandé dans la bienveillance et il y a une bonne ambiance », confie-t-il.

Une agence parisienne pour plus d’efficacité

Condamnés pour des peines alternatives à l’incarcération, les TIGistes accomplissent leur condamnation en effectuant ce travail non rémunéré pendant une durée comprise entre 20 et 400 heures. À la Ville, ces missions peuvent concerner la logistique, la maintenance, l’entretien des locaux, l’accueil du public, l’étiquetage, le classement… dans ses établissements et services.
Afin de formaliser le parcours de ces personnes, de mieux identifier leurs besoins et d’élargir la palette des possibilités qui leur est proposée, l’agence parisienne du TIG et de la prévention de la récidive a été créée il y a un an, en lien avec le ministère de la Justice (l’agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle, Atigip) et les services judiciaires (service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Paris et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de Paris pour les jeunes jusqu’à 21 ans). « L’une de nos missions est la prospection et la création de fiches de poste les plus diversifiées possibles », confirme Catherine Jouaux, la responsable de l’agence parisienne du TIG.

Toutes les craintes ont été dissipées, d’autant que l’agence apporte un certain nombre de garanties.

Franck Oudrhiri
directeur de l'Ehpad Annie Girardot (13e)
De fait, l’agence parvient à convaincre de plus en plus d’interlocuteurs… comme Franck Oudrhiri. C’est à la faveur d’une réunion des directeurs d’Ehpad parisiens qu’il a appris l’existence de l’agence : « Cela correspond à ma volonté d’ouvrir l’établissement vers l’extérieur ! » Un enthousiasme qui convainc sa direction, favorable à cet accueil inédit.
« Un représentant de l’agence est par la suite venu faire une présentation plus approfondie, d’abord aux professionnels puis au conseil de la vie sociale (regroupant des représentants du personnel, des résidents et des familles), détaille Franck Oudrhiri. Toutes les craintes ont été dissipées, d’autant que l’agence apporte un certain nombre de garanties. »

Un « feeling » nécessaire entre le candidat et la structure

Franck Oudrhiri adresse alors deux fiches de poste à l’agence : l’une pour le service restauration de l’Ehpad, l’autre pour la lingerie. À l’agence de trouver les profils qui correspondent le mieux. « Pour cet établissement, nous n’avons évidemment pas proposé des TIGistes condamnés pour violence sur personne vulnérable. En revanche ni l’agence ni les professionnels de l’Ehpad ne connaissent le motif de condamnation. Nous pouvons seulement préciser aux services judiciaires (SPIP et PJJ) certains motifs d’exclusion et, pour ce cas précis, sur l’ensemble du casier judiciaire de la personne », atteste Catherine Jouaux.
Une fois la bonne candidature trouvée, rendez-vous est pris dans la structure pour un entretien préalable - le feeling doit passer, aucun placement n’est imposé ! Si toutes les parties prenantes se mettent d’accord, une date de démarrage est fixée. Mais la mission ne commence qu’une fois la décision d’affectation du service judiciaire reçue.
Qui sont les TIGistes accueillis ?
Au premier trimestre 2024, leur moyenne d’âge est de 31 ans, à 98 % des hommes. Ce sont des personnes qui travaillent (23 %), sans emploi (69 %) et des étudiants (7 %). 1 % d’entre eux sont des personnes en situation de handicap. D’où l’intérêt d’avoir une variété de fiches de poste à leur proposer.

« Nous sommes dans une posture de réalité »

Ehpad Annie Girardot - le directeur Franck OUDRHIRI et la directrice de l'agence parisienne du travail d'intérêt général Catherine Jouaux

Si ça doit s’arrêter, cela s’arrête. (…) Nous avons connu de très belles histoires, mais aussi des échecs.

Catherine Jouaux
responsable de l’agence parisienne du TIG et de la prévention de la récidive
À tout moment de la mission, les équipes qui rencontrent de quelconques difficultés peuvent contacter l’agence parisienne du TIG. « Si ça doit s’arrêter, cela s’arrête, tranche Catherine Jouaux. Nous sommes très impliqués pour accueillir au mieux les personnes en TIG mais dans une posture de réalité, nous ne faisons pas d’angélisme : nous avons connu de très belles histoires, mais aussi des échecs. »
Une de ces belles histoires, c’est celle de K., qui a effectué ses heures de TIG à la lingerie de l’Ehpad en février-mars 2024. Encadré par Nathalie Boussard, il triait le linge, s’occupait du lavage, du marquage et du repassage. Il était juste dispensé du reprisage qu’il ne maîtrisait pas ! « Il a adoré cette expérience, s’enthousiasme sa tutrice, au point de se renseigner à la fin de sa condamnation sur les démarches pour passer le concours. Pour nous, ça faisait un bras en plus, qui prenait de bonnes initiatives. Avant son arrivée, on s’est inquiétées d’avoir un homme à la lingerie, mais on ne s’est jamais souciées de son statut de personne condamnée. »

Une expérience humaine forte

Fort de ces deux premières expériences concluantes, Franck Oudrhiri a la volonté d’accueillir prochainement d’autres TIGistes dans les services administratifs, d’accueil puis techniques de l’établissement. « Ma motivation, c’est vraiment d’aider à l’intégration sociale et professionnelle des personnes condamnées. C’est une “peine intelligente” comme le disait Robert Badinter qui a porté ce dispositif car elle est effectuée avec l’adhésion de la personne. Cela lui permet d’avoir une deuxième chance tout en se rendant utile pour la société ».
Par ailleurs, si ni le service ni le tuteur ne reçoivent d’aide financière dans le cadre du TIG, le directeur estime qu’encadrer un TIGiste « représente une montée en compétences et une expérience humaine forte. Cette expérience est aussi une façon de manager mes équipes autrement ! ».
L’agence parisienne du TIG et de la prévention de la récidive oriente l’ensemble de ces tuteurs ainsi que les responsables des services accueillants vers une demi-journée de formation organisée par l’Atigip au sein du ministère de la Justice. Elle a d’ailleurs créé un réseau de tuteurs et de tutrices parisiens pour échanger sur les pratiques.

Un investissement sur la base du volontariat

Avant la création de l’agence, les services judiciaires étaient en lien direct avec certains services qui avaient l’habitude de tutorer des personnes en TIG, « mais cela tournait un peu en boucle, constate Catherine Jouaux. Aujourd’hui, l’agence reçoit des candidatures du SPIP et de la PJJ et propose des affectations dans l’ensemble des services de la Ville. »
Avec sa petite équipe, l’agence parisienne du TIG se déplace donc dans les différentes directions de la Ville, des équipements de direction de la Jeunesse et des Sports à la direction de la Police municipale et de la Prévention, pour présenter le dispositif et ses avantages… sans négliger les freins possibles. « Nous leur expliquons en quoi cela peut être intéressant, en terme humain comme de ressources, mais qu’il s’agit aussi d’un investissement et d’un engagement qui repose sur le volontariat. »
Après une année de travail intense, l’agence se fixe déjà de nouveaux objectifs, notamment d’établir des passerelles vers l’insertion professionnelle. « Un levier de plus pour la prévention de la récidive », se réjouit Catherine Jouaux.
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