Une table ronde autour de la notion de « forme de vie » qui renouvelle la manière de penser le social
Depuis la parution de Life and Words de Veena Das en 2006 (La Vie et les Mots,
Éditions du Cerf, 2023) un dialogue fécond entre la philosophie et
l’anthropologie autour de la notion de « forme de vie » renouvelle la
manière de penser le social. La notion de « vie sociale » insiste sur le
rôle structurant de l’ordre social qui stabilise l’existence
collective. Par contraste, la description de la diversité des « formes
de vie » rend plus attentif à la fragilité de ces règles et la
vulnérabilité des vies humaines qui en découle.
Cette table
ronde vise à expliquer comment cette théorisation contemporaine aide à
mieux appréhender la vie en société, en particulier dans ses dimensions
les plus ordinaires. Elle réunit Estelle Ferrarese et Sandra Laugier,
éditrices scientifiques de l’ouvrage Formes de vie (CNRS Éditions, 2019), Perig Pitrou, auteur de Ce que les humains font avec la vie (Puf, 2024) et Richard Rechtman, auteur de Vie ordinaire des génocidaires (CNRS Éditions, 2021).
À propos des intervenant.e.s
Estelle Ferrarese est professeure
de philosophie morale et politique à l’Université de Picardie Jules
Verne, et membre Senior de l’Institut Universitaire de France. Elle
dirige l’International Research Network « Norms of Life » du CNRS.
Sandra Laugier est professeure de philosophie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle dirige le projet européen ERC DEMOSERIES.
Perig Pitrou est
directeur de recherche au CNRS à la Maison Française d’Oxford et au
Laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France /Université PSL
où il dirige l’équipe « Anthropologie de la vie ».
Richard Rechtman est anthropologue et psychiatre, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
À propos des ouvrages
La notion de « formes de vie » a émergé il y a une dizaine d’années et
circule dans des domaines variés, de la biologie à la philosophie en
passant par la sociologie, la science politique et l’anthropologie. Mais
qu’entendre par « formes de vie » ? Un ensemble de pratiques, d’usages
de nature variée, qui donnent à la vie commune des caractères propres,
pour ainsi dire diffus, explicitement ou implicitement présents dans les
croyances, la langue, les institutions, les modes d’action, les
valeurs. Une forme de vie est toujours, en ce sens, particulière, c’est
pourquoi il existe des formes de vie, plus qu’une forme de vie.
De
l’étude de ses divers sens chez des auteurs aussi différents qu’Adorno
et Wittgenstein à sa portée critique et politique et à ses incidences
éthiques, cet ouvrage déploie toutes les dimensions de cette nouvelle
approche. En particulier, la porosité entre les sphères privée, sociale,
économique et politique, et la nouvelle articulation du social et du
biologique.
Ce que font les humains avec la vie
Comment coexister avec le vivant dans des environnements écologiques
toujours plus dégradés ? Comment construire des conditions de vie
atténuant les inégalités entre les vies humaines et favorisant une
meilleure qualité de vie ? Comment faire un usage responsable des
biotechnologies ? Comment faire cohabiter la diversité des rapports au
monde développés par les sociétés humaines, en prenant en compte leurs
attachements à des milieux de vie variés ? Ces quatre questions,
étroitement liées, s’articulent à une interrogation centrale pour notre
époque : comment vivre sur la planète Terre ?
À l’interface entre le
vital et le social, ces enjeux ne concernent pas seulement les sciences
comme l’écologie et la biologie. Ils sont au cœur de la réflexion dans
un domaine en pleine effervescence : l’anthropologie de la vie. Partout
dans le monde, les humains perçoivent la vie comme un pouvoir qui exerce
son emprise sur les êtres vivants, produisant des effets – croissance,
reproduction, vieillissement, mort – sur les corps. Dans une perspective
comparatiste, ce livre met en lumière la manière dont les enquêtes
ethnographiques aident à mieux comprendre comment les sociétés
s’organisent autour d’un tel pouvoir et de la fragilité des vies
humaines qui en dépend.
La vie et les mots
Comment la violence, cette force destructrice qui semble aussi puissante
que fulgurante, s’invite-t-elle peu à peu jusque dans notre existence
quotidienne ?
C’est en spécialiste que l’anthropologue Veena Das
analyse l’irruption de la violence extrême dans la vie ordinaire,
notamment celle des femmes, en s’appuyant sur l’exemple de la partition
de l’Inde et du Pakistan en 1947 ou des massacres de sikhs ayant suivi
l’assassinat de la Première ministre Indira Gandhi en 1984.
Elle
dévoile ainsi les différents mécanismes à l’oeuvre, qui combinent
violence collective, influence de la rumeur, nouveaux liens familiaux et
rôle des autorités. Articulant réflexions ethnographiques et
philosophiques, elle esquisse dans cet essai magistral une nouvelle
façon de décrire et d’interpréter la violence dans les sociétés et
cultures du monde entier.
Un ouvrage indispensable, au-delà des
frontières disciplinaires, pour mieux comprendre la violence, en
particulier celle perpétrée contre les femmes.
La vie ordinaire des génocidaires
Paris, 2015 : le terrorisme djihadiste touche massivement la capitale
française et fait près de 150 morts. Pour qualifier les auteurs de ces
meurtres, on parle tantôt d’hommes radicalisés soumis à une idéologie,
tantôt d’hommes médiocres, « banaux », qui ne font qu’obéir aux ordres,
tantôt de monstres assoiffés de sang. Comme pour les tueurs de masse des
plus grands crimes de l’histoire contemporaine, on se demande sans
cesse qui sont ces hommes capables de tuer ainsi à la chaîne.
Qu’éprouvent-ils dans leur conscience ? Ne ressentent-ils pas l’horreur
de leurs actes ? N’ont-ils pas de la compassion pour leurs victimes ?
Pour
Richard Rechtman, ce ne sont pas les idéologies qui tuent, mais bien
les hommes. Ceux-ci s’en chargent avec une grande facilité, et tuent
simplement comme d’autres vont au travail. Ce livre effectue une
véritable descente dans la vie ordinaire des petits exécutants, des
génocidaires. Il sonde le quotidien dans lequel les hommes s’accommodent
d’exécuter chaque jour des dizaines d’individus. Il montre que ce n’est
pas le fait de tuer qui occupe l’essentiel de leurs pensées, mais plus
simplement leur vie quotidienne. Ils tuent comme ils s’attelleraient à
n’importe quel métier, c’est-à-dire de façon ordinaire. Car ce ne sont
pas les plus motivés ou les plus sadiques, ni même les plus endoctrinés,
qui tuent avec une telle facilité, ce sont avant tout les hommes les
plus disponibles.
L’objet de ce livre n’est donc pas de savoir qui
sont ces exécuteurs ni au nom de quoi ils tuent, mais de montrer comment
dans certains contextes, exécuter d’autres hommes constitue la vie
ordinaire de tueurs anonymes.