Images d’un genre nouveau, prises sur le vif ou mises en scène, les dépôts de modèle, ont été utilisés par tous les grands créateurs pour témoigner de l’authenticité d’une griffe parisienne. Déposées au musée des Arts décoratifs en 1940, ces images singulières constituent désormais une ressource visuelle pour les grandes maisons qui fréquentent l’institution en quête d’inspirations et de modèles.
De la propriété intellectuelle et industrielle
Si le principal vecteur de la mode est la photographie de presse, il existe une autre iconographie, aussi méconnue que mystérieuse : les dépôts de modèles. Ils sont une composante de la propriété industrielle, comme les brevets et les marques. Déposés au conseil des prud’hommes ou au greffe des tribunaux jusqu’en 1979, ils permettaient de protéger juridiquement une création et d’engager ainsi une action en contrefaçon en cas de copie. Au début du XXe siècle, dans le contexte de développement de la haute couture parisienne et parallèlement, de la contrefaçon dont elle était victime, ces photographies acquièrent le statut de pièces à conviction dans les nombreux procès intentés et qui ont défrayé la chronique, à l’instar de celui qu’intente la « géomètre de la mode » Madeleine Vionnet, en 1921.
Articles de presse, films, mais aussi documentaires narrent le phénomène alors grandissant de la contrefaçon, parfois de façon romanesque, comme dans le film Les Pirates de la mode de William Dieterle et Busby Berkeley (intitulé en anglais Fashions of 1934). Ces dépôts de modèle s’inspirent des vues de face et de profil mis en place par le criminologue Alphonse Bertillon pour la photographie judiciaire dans les années 1880 et qui par la suite développe l’identification par l’empreinte digitale.
La sauvegarde et le renouvellement d’un patrimoine visuel
Ce fonds photographique exceptionnel constitué dans les années 1940, donne à voir un panorama visuel surprenant de la mode et de la haute-couture parisienne entre 1917 et 1934 : les plus grands noms, de la plus ancienne maison Worth à Chéruit, Hermès, ou encore Callot Sœurs et Lanvin, mais aussi Edward Molyneux, Jean Patou, en passant par Jeanne Paquin, Lucien Lelong et bien d’autres y sont présentés.
En image, une certaine histoire de la mode
Très vite, la photographie s’impose pour capter un modèle et une collection, c’est alors un véritable marché qui s’ouvre aux photographes et aux studios, au début du XXe siècle. Les nombreux dépôts de modèles produits ont désormais une signature photographique : Man Ray, Gilbert René, mais aussi Pierre Choumoff, Henri Manuel, Thérèse Bonney, ou encore Paul Méjat et Henri Martinie en sont les plus célèbres représentants.
Ces photographies réalisées dans l’intimité des ateliers sont pourtant moins considérées que les tirages réalisés pour la presse ou les expositions. Destinés aux domaines de la justice et de l’archive, les dépôts ne sont pas toujours signés par des photographes reconnus, et ne font pas appel aux célèbres actrices et mannequins. Ces images restent néanmoins un vivier pour écrire une histoire de la mode et de la photographie de mode, participant également de l’analyse de l’économie de tout ce secteur.
Image de mode d’un nouveau genre : les dépôts de modèles
Le dépôt de modèle prend plusieurs formes photographiques : assemblage de deux ou trois photographies qui devient un diptyque ou un triptyque ; système photographique qui combine plusieurs objectifs ou encore cabine en angle composé de miroirs permettant de montrer les différentes vues de la tenue : face, dos, profil, à l’instar de ceux réalisés par Madeleine Vionnet. Sur ces dépôts se trouvent plusieurs indications de leur statut juridique : au recto, le numéro du modèle dans la collection et au verso, la signature et le cachet du déposant. Il est également possible de voir le tampon du photographe. Enfin, l’image comporte un numéro d’ordre attribué au modèle au sein du dépôt.
Une photographie entre la fonction et la création
La mise en scène de ces images est révélatrice du soin apporté au dépôt de modèle : certains couturiers élaborent des espaces restreints et dépouillés au sein de leur atelier, d’autres créent des dispositifs plus inventifs comme Madeleine Vionnet et les jeux graphiques de miroir, d’autres disposent leurs modèles dans de véritables univers composés de pièces de mobilier et d’œuvres d’art comme ceux réalisés par Paul Poiret.
À travers ce fonds photographique jamais présenté auparavant au musée des Arts décoratifs, le voile est levé sur une pratique qui a marqué le monde de la mode au début du XXe siècle et dont l’objectif, celui de protéger les modèles de la contrefaçon, reste d’une actualité brulante, au regard des possibilités offertes par la révolution digitale et l’intelligence artificielle.